Oktyabrin s’attendait depuis longtemps à cette convocation en tête à tête avec la Tsarine. Entre son opinion de plus en plus radicale contre elle et sa prise de défense de la petite C042 qui avait subtilisé les documents demandés par Volkov, autant dire qu’il ne s’attendait pas à sortir vivant de cet entretien. Mais à sa grande surprise, seul la Capitaine Isola se tient aux cotés de la souveraine lorsqu’il entre dans la salle du trône déserte. Sans un mot, il s’agenouille à contrecœur et attends que Genya 1ière prenne la parole. Ce qu’elle finit par faire après un bon moment de silence.

« Fyodorovitch, je n’ai nullement besoin de vous expliquer votre présence ici, vous êtes pleinement conscient de vos péchés envers la Sainte Couronne. » Commence-t-elle avec grandiloquence avant de conclure sur un ton plus moqueur. « Donnez-moi de bonnes raisons de vous laisser en vie, à présent. Faites-moi rire. »

Oktyabrin ne dit rien aux premiers abords, il se relève calmement et toise la souveraine d’un air méprisant. Inutile de prétendre puisqu’elle voit claire dans son jeu. Il croise les bras et finit par hausser les épaules.

« Je n’en vois pas, « votre majesté », demandez donc à votre Démolosse de mettre fin à ma misérable existence si ça vous chante. »

Un geste de Genya et Isola vient immédiatement lui faire face, enlève son gant et le saisit à la gorge. Oktyabrin grimace et résiste un instant contre cette emprise mortelle, retenant son énergie vitale comme il peut. Mais bien vite, il se laisse aller, se demandant à quoi bon continuer jusqu’à ce que… Le visage de C042 lui revient en mémoire, sans lui, cette gamine est foutue. Il en va de même pour Mishka. Alors dans un grognement, il résiste de plus bel, rassemble ses forces restantes et donne un grand coup de genoux dans le ventre de la Capitaine de la Garde Obsidienne.

Geste auquel Isola ne devait pas s’attendre puisqu’elle recule en grimaçant. Oktyabrin essaye de contrôler sa respiration haletante et c’est un regard plein de haine qu’il lance à la souveraine. Si il pouvait, il la tuerait, ici et tout de suite. Genya lui rends son regard et lui adresse même un sourire. Elle parait… Fascinée. Et surtout très amusée.

« Et bien, vous me dites ne pas trouver de raisons de vivre, mais vous avez menti à ce que je vois. »

Un claquement de doigt et Isola recule à contrecœur, à voir son visage, on dirait qu’elle est prête à cracher au visage d’Oktyabrin. Ce dernier tient du mieux qu’il peut, malgré la faiblesse et la nausée, hors de question de tomber à genoux devant cette salope. Son regard brulant de haine est toujours fixé sur elle, il serre les poings et les dents. Si il s’écoutait, il montrait les quelques marches qui le séparent d’elle pour lui foutre son poing dans la gueule. Mais il n’en fait rien pour une raison qu’il ignore lui-même.

« J’aime bien ce regard, Fyodorovitch. » Finit par siffloter la Tsarine. « Vous me haïssez, certes, mais vous savez où est votre place. Par chance, j’ai encore besoin de vous pour abrutir le peuple le temps que ma tâche divine soit accomplie. Et au fond… Vous voir croire que vous avez une chance contre les Sankta eux-mêmes m’amuse beaucoup. »

Elle descends doucement de son piédestal et approche du ministre chancelant, le provoquant de par sa proximité, comme si elle attendait avec hâte qu’il lui foute sa main dans la gueule. Oktyabrin en meurt d’envie, en effet, mais n’en fait rien. Il sait que cette action-là ne sera pas sans conséquence et que Genya ne fait que l’appâter pour mieux le punir.

« Volkov est avez-vous, n’est-ce pas ? Inutile de nier, ce vieux sénile est trop attaché à ses traditions pour voir la véritable grandeur des Rusalka. Dites-lui simplement de ma part que si il ne se tient pas un peu mieux, il se pourrait que la chair de sa chair en pâtisse. »

Oktyabrin lui jette un regard dégouté. Savoir qu’elle n’hésiterait pas à s’en prendre à ses propres héritiers le débecte. Oh, il a bien vu pire de la part d’un être humain mais chaque action de Genya lui parait de plus en plus inacceptable. Cette dernière ne manque pas de se moquer de ce regard outré.

« Oh, Fyodorovitch, c’est ainsi que le monde fonctionne. C’est ainsi qu’il a toujours fonctionné. On tient les faibles en laisse en utilisant ce qui est cher à leur cœur. Les forts, eux, ne s’attachent à rien ni à personne. »

Le ministre ne réponds d’abord rien puis un rire faible s’échappe de ses lèvres, il lance un regard mi-blasé, mi-moqueur à la souveraine et lui lance d’une voix tremblante.

« Est-ce pour cela que vous avez abandonné votre frère, Ilya Rusalka ? »

La gifle qu’il se prends le déstabilise un instant et il manque de tomber, se rattrapant par quelques pas en arrière. Il n’est pas vraiment étonné de celle-ci, c’est juste sa rapidité et sa force qui l’ont surpris. Pour preuve, un filet de sang s’écoule de ses lèvres. A peine le temps de s’en remettre que la Tsarine vient le saisir par la mâchoire et le regarder droit dans les yeux, le regard bouillonnant de colère.

« Ne mentionne plus jamais ce nom devant moi, sale fils de pute. » Crache-t-elle avant de le rejeter en arrière. « Tu as suffisamment joué avec ta chance, Fyodorovitch, ne fais pas preuve d’arrogance. Tu ne peux pas te vanter de n’avoir rien à perdre. »

Elle lui tourne le dos et retourne s’installer sur son trône tandis qu’Oktyabrin s’essuie le visage, poisseux de sang. A la fois de son nez et de ses lèvres. Il n’aime pas l’admettre mais tout devient flou autour de lui et si il ne se dépêche pas de sortir de cette pièce, il tombera bel et bien à genoux devant cette garce.

« Votre altesse… » Dit-il simplement en accompagnement son salut d’une courbette tremblante. « Permettez-moi de reprendre mes occupations, puisque je ne suis que votre fidèle Ponchien. »

Genya soupire et lève les yeux au ciel, comme soudain agacée par la présence du Ministre de l’intérieur qu’elle renvoie d’un signe de main. Oktyabrin se hâte de sortir de la salle du trône et s’effondre sur le premier sofa à disposition, il entends vaguement la panique autour de lui. Il faut dire qu’il ne doit vraiment pas avoir bonne mine. Mais une seule personne vient l’aider et de par les fragments de voix qu’il perçoit, il peut reconnaitre le Capitaine Belinsky. Brave camarade…

Il essaye de murmurer des remerciements, sans succès. Le vertige le reprends bien vite et il se sent littéralement tomber dans l’inconscience. Il sait maintenant qu’il n’est qu’un pion sur un échiquier, mais il sait aussi que la Tsarine n’est pas aussi forte qu’elle le prétends.

Le nom d’Ilya Rusalka la fera toujours frémir de colère.

Quelle ironie…