notes

TW : Automutilations

Le repas familial avait débuté en silence mais bien vite, il avait fallu que Nina parle. Et bien entendu, c’était pour pointer du doigt le comportement de sa fille délaissée, l’accusant d’être une fuyarde, une irresponsable, une fille indigne et d’autres surnoms qu’Aggripina n’écoutait pas, les yeux rivés sur son assiette à peine touchée. Les éclats de voix semblaient à peine l’attendre mais en réalité, ils étaient comme des éclats de verre s’enfonçant dans sa chair. Elle gardait le silence, retenant toute la colère du monde et s’en voulant misérablement de ne pouvoir intervenir sans aggraver les choses.

Si elle n’avait qu’une once de courage, le couteau qu’elle tenait aurait déjà servi à ouvrir la gorge de sa génitrice mais non, elle restait là, la tête basse et le regard vide comme le derniers des Ponchiot soumis à son maître. Elle se détestait profondément pour cela.

Il lui semblait parfois avoir le courage d’ouvrir la bouche pour prendre la parole mais sa voix restait éteinte au fond de sa gorge. La dispute – principalement Nina qui hurlait sur sa fille – sembla se calmer et bientôt, le silence encombrant reprit sa place, interrompu de ça de là par les soupirs et grognements agacés de la maternelle. Après ce qui lui sembla être plusieurs heures, Aggripina finit par déclarer d’une voix hagard.

« Je compte me présenter au concours de coordination à la gloire de Strana, je pense avoir mes chances… »

Sa voix s’évanouit lentement au fur et à mesure des mots qu’elle prononçait. Ses yeux toujours baissés sur une nourriture qui lui semblait de plus en plus écœurante, elle ne réagit même pas quand sa mère se leva pour venir lui caresser les épaules, tout sourire. C’est avec une douceur mièvre que la brune vint encourager sa fille « préférée ».

« Oh, ma petite Agrippina, tu seras la plus belle de toute ! Une vraie princesse, je n’en doute pas. Tu es déjà née avec la grâce et la beauté après tout, ta sœur devrait prendre exemple sur toi ! »

Avant qu’Anushka ne puisse réagir – ou non – à cette réplique, Aggripina se leva brusquement, couvrant sa bouche d’une main.

« P-pardon, mère, je me sens mal… »

Et aussitôt qu’elle avait prononcé ces mots, elle s’éclipsa en courant dans ses appartements, loin de sa sœur mais surtout de sa mère. S’enfermant dans sa salle de bain privée, elle déversa sa bille dans le lavabo à plusieurs reprises, prise de contractions violentes et douloureuses. Une fois ce rejet effectué, elle releva la tête vers le miroir et s’observa avec un dégout suprême. Rapide fouille du tiroir de salle de bain et la lame de rasoir fut rapidement sortie de son étui.

La première coupure – ou plutôt, comme elle aimait les nommer « réouvertures de cicatrices – lui arracha un cri de douleur mêlé de colère. Elle se mordit les lèvres, on ne devait pas l’entendre. Nina l’entendrait et qui sait ce qu’elle inventerait pour mettre ça sur le dos de la pauvre Anushka.

« Princesse, ouais… Reine des putes, plutôt ! Oh oui, maman, grâce et beauté, j’ai ça ! Et ça t’a bien arrangé quand il fallait ramener à bouffer, hein ?! »

Nouvelle coupure, plus nerveuse, plus profonde. Celle-ci lui arracha juste un grognement. Le soulagement que lui procurait la douleur était immense. Et dire qu’elle avait promit à Igor d’arrêter  une bonne fois pour toute…

Oh et puis merde, il n’était pas à sa place, comment pouvait-il comprendre, hein ?!

« Agrisha, elle prendra soin d’elle quand t’auras crevé sa mère d’une balle entre les deux yeux, pauvre con ! » Cracha-t-elle, ivre de rage. « Hypocrite ! Tous des hypocrites ! Je vous hais ! »

Des tourbillons de pensées s’entremêlaient dans son esprit, elle tremblait de rage, bouillonnait de haine, encore secouée de dégout. Une pensée lui vint alors comme une claque en pleine face et lui arracha six coupures supplémentaires faites à la chaine.

« Pauuuuvre petite Anushka. Je t’ai rendue malheureuse ? Peut-être que si t’étais pas une pauvre soumise de merde, tu arriverais à faire quelque chose de ta putain de vie !» Elle eut un ricanement amer. « Mais noooon, bien sûr, tes échecs et tes malheurs ce sera toujours de la faute à Grigri ! Alors haït-la de toute tes forces ! »

D’un geste vif, elle arracha son décolleté, laissant à nu sa poitrine balafrée. Un regard vers cette croix au centre de sa poitrine, qui balafrait ses deux seins. Répugnant. Et pourtant elle trouva la force, l’envie même, non, la pulsion de rouvrir cette vieille plaie, la plus détestée de toutes.

« Putain de marquage à la con ! Je serais jamais ta pute, Jirenkov et c’est pas cette croix de merde qui dira le contraire. »

Le sang coulait déjà bien sur le sol et elle commençait à se sentir faible mais c’était quelque chose qu’elle DEVAIT faire. Tailladé à l’arrache, bien saignante, la nouvelle « marque » était là, Jirenkov était parti. Il n’y avait là que la propre main autodestructrice de la jeune femme sur son propre corps. Enfin, seulement, elle fut apaisée.

Elle nettoierais plus tard, quand son corps aurait bien récupéré. Si elle ne pouvait pas tenir toutes les promesses d’Igor, elle pouvait au moins tenir celle qu’elle lui avait faite en cas de dernier recours : désinfecter et panser ses blessures. Plus la colère baissait, plus la douleur venait à la charge et la culpabilité prenait place. Elle ne pouvait pas nier qu’une part d’elle pensait l’amour d’Igor hypocrite et ses taquineries comme des insultes dissimulées. Elle ne pouvait pas nier non-plus que parfois, la haine envers Anushka était réciproque pendant ses crises. Mais le pire c’était la haine d’elle-même.

C’est en changeant rapidement sa robe déchirée et tachée de sang pour se mettre en longue robe de chambre qu’elle finit par s’effondrer dans son lit, anémiée. Peut-être faudrait-il s’affoler un peu et contacter les urgences mais la plupart du temps, elle arrivait à se réveiller le lendemain. Sinon, elle crèverait et ce serait tant mieux pour tout le monde.

Sauf que…

Demain était l’anniversaire d’Igor. Ah bien sûr, ça ferait un beau cadeau de la retrouver morte allongée dans son lit tiens ! Et elle, comme la sombre poufiasse qu’elle était, n’y avait pas songé une seule seconde. Après un bon moment de torture mental dans ce genre et elle finit par éclater en sanglots, se trouvant égoïste, monstrueuse. Un parasite qui avait volé la vie d’une autre et ne lui avait apporté que des malheurs. Car c’est tout ce qu’elle savait apporter au bout du compte, des malheurs.

La morsure anecdotique que Dahlia avait administré à Vania en voulant défendre sa dresseuse lui parut soudain un crime des plus affreux de sa part. Un signe que même ce pauvre gosse qui n’avait rien demandé souffrait à cause d’elle. Il avait bien raison d’être sur sa défensive, elle n’était qu’une trainée. Qui voudrait que son père s’amourache d’une trainée ?

Puis bientôt, elle n’eut plus de larmes à verser et s’assoupit lourdement d’un sommeil qui s’annonçait peuplé de cauchemars. Aucun de ses pokémons n’avaient été là pour assister au désastre, enfin, c’est ce qu’elle croyait. Simplement Fluffy, la Zorua immaculée, l’avait observé d’un air inquiet. Bon, d’acords, elle aimait embêter sa dresseuse et lui faire comprendre qu’elle n’était pas son petit toutou en lui mordillant les mains et les mollets ou en lui grognant dessus mais là…

…Elle n’avait jamais rien vu de tel.

Alors silencieusement, elle vint se lover contre la jeune femme et s’assoupit à son tour, espérant que sa présence amènerait un peu de calme à une Aggripina déjà bien trop usée par la vie.