Entre l’état d’Ilya qui s’aggravait de jour en jour et la nouvelle condition d’Artyom qui souffrait le martyr à cause de sa « mutation », Rin ne pouvait trouver le repos que ce soit physiquement ou mentalement. Elle avait tout tenté, tout expérimenté sur les échantillons de sang prélevé au chef de la team Stal mais rien n’y faisait, il ne semblait pas y avoir de moyen de faire revenir les choses à la normale. Ce qui voulait dire qu’Ilya était condamné et qu’Artyom ne pourrait pas « guérir ». C’était rageant.

Alors quand elle avait apprit pour cette affaire de cargaison top-secrète, elle avait décidé d’y aller. Sans doute motivée par le fait d’avoir retrouver un Artyom à moitié couvert du sang de ses ennemis et secoué de rage à propos de cette mission qu’il jugeait « échouée » pour avoir manqué de mettre la main sur un scientifique du projet Nebulak. Elle ne pouvait pas laisser les choses se passer ainsi, elle avait elle-même causé ce désastre, c’était à elle de le réparer. Quoiqu’en pense les deux autres. Alors dans le plus grand secret, elle avait demandé à N°005 de la téléporter hors de la base, à distance suffisante pour ne pas être repérée dans son escapade.

C’est à dos de Cerbyllin emprunté à la team qu’elle continua son trajet, se fiant à une boussole et à une carte volée à Artyom où était annotée tout ce qui concernait le lieu du convoi. Heureusement pour elle, elle avait emporté des réserves car le trajet était bon pour durer un ou deux jours. Elle n’était pas aussi douée que son compagnon pour survivre dans la toundra mais se débrouilla comme elle put, dormant contre ses pokémons pour profiter de leur chaleur corporelle pendant les nuits glaciales. Elle arriva enfin à destination à l’aube du deuxième jour d’expédition.

Comme prévu, le calme ambiant avait rendu les soldats ennemis un peu trop laxistes et il fut aisé d’user de Hypnose sur eux pour se frayer un passage au sein du convoi. Elle avait pu atteindre son objectif sans trop d’encombres mais réalisa avec rage que l’objet de sa convoitise avait déjà été trouvé. Elle pesta en silence, se cachant derrière l’un des véhicules militaires ennemis pour observer le groupe réuni autour du véhicule amoché qui contenait les ressources inconnues mais semblant très précieuses aux yeux du gouvernement. Elle s’apprêta à demander à N°005 d’hypnotiser tout ce petit monde quand une voix lui parvint aux oreilles.

Elle se figea d’effroi.

Artyom avait raison, il était en vie. Ce fils de pute était en vie et continuait ses expériences. Il utilisait ses camarades comme cobayes, toujours guidé par la soif de découverte psychotique qui le caractérisait si bien. Elle avait été comme lui avant, elle avait éprouvé cette soif de curiosité, mais la team Stal l’avait fait redescendre sur terre. Elle ne supportait à présent que difficilement de repenser à ses actions passées et… Là était une occasion de se racheter. N°002 fut rapidement libéré de sa pokéball et Rin lui siffla quelques ordres, Bombe Beurk fut violemment projeté sur le groupe de scientifiques, leurs cris de panique et de douleur laissa la jeune femme dans l’indifférence la plus totale.

Elle sorti rapidement son arme et sorti de sa cachette, abattant froidement tous ces scientifiques à terre et criant de douleur. Tous, sauf un, qui lui s’était relevé avec difficulté, comme insensible à la douleur. Elle le tenait en joue, un doigt sur la gâchette… Mais impossible de tirer. Elle se maudissait elle-même. Le vieillard soupira et demanda d’une voix des plus blasées.

« Alors, cette balle dans la tête. C’est pour aujourd’hui ou pour demain ? Décidez-vous vite, je n’ai pas que cela à faire. »

Furieuse, la jeune femme pointa son pistolet sur la jambe de son père adoptif et n’hésita cette fois pas une seconde à lui tirer dans le genoux. Il chuta dans un cri de douleur qui se transforma bientôt en grognement. Se redressant du mieux qu’il pouvait, il laissa voir ses yeux opaques. Tout comme Artyom l’avait dit, Piotr Demikhov était devenu aveugle. Cela expliquait qu’il n’ait pas reconnu sa chère fille adoptive, à moins qu’il ne se souvienne vraiment plus d’elle.

« Pauvre merde… » Cracha-t-elle à défaut de pouvoir achever celui qui avait été son père et son mentor. « Je vais te laisser crever ici dans le froid, c’est tout ce que tu mérites. »

Comme toute réponse, un silence incrédule puis un rire amusé bien que crispé par la douleur. Piotr se foutait d’elle, ce qui lui valut une balle dans l’épaule qui arrêta son maudit rire pour laisser places à de nouveaux cris de souffrance. Elle avait beau essayé de toutes ses forces mais impossibles de porter un coup mortel. Même N°002 n’attendait qu’un ordre pourtant et il était coincé entre ses lèvres. C’était rageant.

« Ah, ma chère Katerina… » Souffla Piotr avec difficulté. « Toujours aussi froide, toujours aussi efficace mais cruellement aveuglée par ses propres émotions… »

Rin ne perdit pas de temps à se pencher sur ces paroles inutiles, elle se dirigea vers le camion à moitié renversé et grimpa à l’intérieur, s’attelant à en fouiller le contenu. Des flacons, beaucoup de flacons remplis d’un liquide rouge sombre. Tout était trop familier, tout lui rappelait trop « cette époque », elle n’était pas sûre de quoi il s’agissait mais la voix de Piotr retentissant à l’extérieur du camion ne fit que confirmer ses doutes.

« Sers-toi autant que tu veux, Katerina. Les Sankta sont généreux, tu le sais aussi bien que moi. »

Elle serra les dents et sentit les larmes lui monter aux yeux. Ces histoires de gamins retrouvés dans des convois, ces expériences du gouvernements, l’état d’Ilya, celui d’Artyom, la petite Summer… Tout était de sa faute. C’était sa proposition qui avait tout changé dans le projet Nebulak et tout Strana en payait les conséquences à présent. Rien dans tout ce bordel médical ne pourrait sauver Artyom ou Ilya, juste aggraver leur état déjà catastrophique. Elle n’eut cependant pas le loisir d’y réfléchir d’avantage, le bruit des soldats se remettant de l’attaque Hypnose et encerclant le camion médicale se firent entendre.

Elle grogna, furieuse.

« J’aurais dû tous les buter… »

Elle enfouit l’un des flacons de liquide rouge dans sa poche et sortit du camion d’un air nonchalant malgré les cris des militaires lui disant de lever les mains en l’air. Ils allaient tirer, elle s’en foutait. Elle le méritait. Tous se porteraient mieux sans elle, si Potiomkine savait, iel en serait sans doute ravie. Pourtant, la voix de Piotr se fit entendre.

« Ne tirez pas ! Laissez-la partir et occupez-vous plutôt de m’aider, ça fait un mal de Ponchien ! »

Le regard incrédule de Rin se tourna vers son père adoptif. Elle allait lui hurler à la figure mais il la prit une nouvelle fois au dépourvu.

« Tu ne peux pas me tuer, Katerina. Les émotions, encore, ces maudites émotions… » Il eut un nouveau rire. « Allez, va ! Porte la science sur ton chemin, fait fleurir de nouvelles créations. C’est ton rôle et ça le sera jusqu’à ta mort. »

Elle aurait voulu l’insulter, lui cracher ses quatre vérités au visage mais rien ne sortit de sa bouche. Elle se contenta donc de partir, pleine de rage et de honte et comme ordonné, les militaires ne firent rien pour la retenir ou même pour la pister. Elle relâcha le Cerbyllin de sa pokéball et monta sur son dos, rappelant N°002 dans sa pokéball dans le même temps. C’est au galop qu’elle s’élança à nouveau dans la toundra, furieuse contre le monde entier mais surtout contre elle-même. Elle avait eu l’opportunité d’en finir une bonne fois pour toute et avait lamentablement échoué. Piotr avait raison, elle tenait encore à lui et cette idée la répugnait au plus haut point.

Seul gain de cette mission stupide ? Une fiole de ce précieux liquide rouge qui avait drastiquement changé le sort de Strana et de tous ces habitants. Elle comptait bien s’en servir. Mais elle n’était plus comme son père adoptif, faisant courir des risques aux autres pour sa propre curiosité.

Elle serait la seule cobaye de cette expérience…

Cela fait un bon moment qu’elle a calmé sa course, elle se sent suivie. Est-ce que les soldats auraient trahi les ordres de Piotr ? Non, la présence qui la suit n’a pas l’air nombreuse et ne cherche pas à être discrète. Mais pourtant, à chaque fois qu’elle se retourne, c’est au blanc de la neige de la toundra qu’elle est confrontée. Cela l’agace, elle finit par arrêter la marche du Cerbyllin et attends. Un regard en arrière, toujours rien. Elle soupire et finit par parler d’une voix forte qui raisonne en écho dans toute la plaine enneigée.

« Ce n’est pas la peine de vous cacher, je sais que vous êtes là ! »

Rin attends encore un peu, reste à regarder derrière elle et sursaute malgré tout quand une silhouette vient sortir de sa cachette derrière un arbre mort. Elle a l’air penaude, perdue, une gamine avec de longs cheveux blancs comme la neige qui la recouvre peu à peu. Elle a l’air frigorifiée, surtout. Et vu comment elle est vêtue, il y a de quoi. Rin s’empresse de descendre de sa monture pour aller voir la petite. Elle a l’air tellement maigre et ses grands yeux observent en silence cette femme qui vient lui poser son manteau sur les épaules. Juste un regard rapide sur son épaule…

Pas de marque d’Artikodin Bicéphale marqué au fer rouge sur l’épaule comme les autres enfants, juste un tatouage. Un matricule. « C097 ».

« Un C, hein ? Il l’ont fait, leur foutu projet au final. » Soupire Rin en se passant une main derrière la nuque. « Ma destination n’est pas faite pour une enfant mais je suppose que je n’ai pas le choix, hein ? »

« C097 » est une déserteuse en quelque sorte. Elle devait être dans le convoi elle-aussi et Piotr l’a laissé partir pour une raison qu’elle ignore mais les faits sont là. Si la gamine retourne d’où elle vient, il y a de bonnes chance qu’on lui colle une balle en pleine tête. Rin lui tends donc la main d’un air fatigué, l’invitant à la suivre et à monter avec elle sur le Cerbyllin.

« Allez, viens. Quand on sera arrivées, je te donnerais des vêtements et un repas bien chauds. »

Cette promesse fait briller les mirettes de la gamine qui s’empresse de suivre sa nouvelle gardienne. Bien vite, elle chevauche toutes les deux en direction de Kolowal. Rin se demande si elle n’a pas fait une erreur en acceptant la présence de la mioche mais au final, c’était ça ou la laisser crever dans la toundra. Peut-être qu’elle s’entendra bien avec Summer, même si son regard gris clair lui fait d’avantage penser aux yeux bleus de Ponchiot perdu d’Artyom.

Elle réfléchira à ce qu’elle doit faire plus tard, avec l’enfant comme avec cette fiole de liquide rouge sombre. Pour l’instant, elle veut juste rentrer.