C'est assez rare pour le noter, mais Mishka passe une journée plutôt agréable.
Pas trop de pensées désagréables dès le réveil, un petit déjeuner l'a mis en forme et les différents challengers dans la journée lui ont permis d'avoir la tête ailleurs. Depuis le temps, il combat presque en autopilote, à moins de reconnaitre un adversaire expérimenté. C'est sûrement le cas de tous ses collègues. Ils finiraient en burnout s'ils devaient préparer une stratégie complexe pour chaque enfant armé d'un Pichu qui vient les défier.

Le Corvaillus du dresseur actuel donne un peu plus de fil à retordre à Milyy, cependant. Même avec des Poing Feu super efficaces, l'oiseau de fer reste très résistant, et ses Bec Vrille, petit à petit, finissent par attaquer la peau épaisse du dragon. Le combat prend fin après ce qui semble être une éternité de coups échangés. C'est le Dracolosse qui en sort vainqueur, mais de peu. Il est essoufflé et on sent qu'il n'aurait pas pu tenir longtemps. Mishka note qu'il faudrait peut-être entrainer ce brave Milyy sur son endurance.

Enfin... il n'a pas à se plaindre. Il caresse la tête de son Pokémon et décide de finalement remettre le badge au jeune dresseur. Un combat si serré, ça mérite une récompense après tout. Un petit discours banal sur le fait de ne jamais abandonner et ça y est, le jeune garçon au Corvaillus disparait dans les escaliers en colimaçon.

Une voix interpelle Mishka, qui reconnait vite Yuri. Il ne l'avait même pas aperçu arriver. Discret.e comme un Rattata, cellui-là. Il n'aime pas forcément recevoir de la visite sans surprise... mais pour son ami, il veut bien faire une exception. Il sait bien, après tout, qu'il n'a pas à avoir peur d'elle... bien que son cœur décide de s'affoler tout de même.

Ah, merci. J'aurais été gêné que tu me voies perdre, plaisante-t-il à moitié, qu'est-ce qui t'amène ?

Son sourire léger disparait aussitôt qu'il entend le ton grave de Yuri. C'était donc ça, le léger malaise qu'il avait ressenti en réalisant sa présence ? L'aura de la champion est opaque et presque visqueuse, comme le sienne quand il broie du noir. Iel veut en parler en privé, et ça ne le rassure pas, mais alors pas du tout. Yuri se doute de quelque chose. De quoi ? Il n'en est pas sûr.
Son anxiété n'est un secret pour personne, et bien que ça ne lui fasse pas plaisir d'afficher ses peurs en public, difficile de nier quand chaque apparition de Volkov le fait sursauter.
Elle se douterait de sa dépression ? Il n'en parle à quasiment personne mais il suppose qu'en faisant attention à ses faits et gestes, quelqu'un pourrait comprendre.
Il saurait pour ses idées noires ? Non. Pas moyen. À moins que Victoria n'ait trahi son secret. Trahi ? Il ne lui a pas dit d'en parler à personne, mais ça sonne comme une évidence... enfin. Si sa cousine avait été quelqu'un de respectable, il n'aurait pas zébré ses bras l'autre soir.

Je vais très bien, merci, dit-il d'un ton monocorde qui trahit sa nervosité. Il ne se convainc pas lui même, pourquoi est-ce que tu t'inquiètes comme ça ?

Il force un sourire, mais il est tout aussi faux que le précédent. Il aimerait savoir ce que sait Yuri. A quel point il est dans la merde. Il n'aime pas que le monde sache ses faiblesses, mais il serait encore plus mis à nu si un ami les apprenait.

La colère est une émotion rare chez Mishka. Aussi, elle le surprend plus que n'importe qui. Il ne sait pas pourquoi son corps et son esprit se mettent autant sur la défensive en entendant Yuri lui rappeler la vérité, mais il n'a presque pas envie de lutter. Une part de lui aimerait lui crier de se mêler de ses affaires. L'autre sait qu'il n'a en face de lui qu'un.e ami.e inquiet. Il garde la bouche serrée pour s'empêcher de dire quelque chose qu'il regretterait.

C'est sans grande surprise qu'il apprend comment le championne d'Okaen a appris pour ses problèmes. Victoria. Mishka garde un juron pour lui-même. Yuri, de toute façon, prend totalement la défense de son amie. Elle aurait bien fait de lui parler de ce que ressentait Mishka, selon lui. Mais le blondinet se sent juste trahi. Plus qu'il ne l'était déjà. Il devrait le savoir, pourtant, qu'il ne peut pas faire confiance à cette Séviper. Au fond de lui, il est persuadé que Victoria a cafardé non pas pour son bien, mais pour l'emmerder.

Mishka détourne le regard alors que Yuri hausse de plus en plus le ton. Est-iel inquiet ? Enragé ? Le son de sa voix et son aura se mélangent, créant un véritable marécage nauséabond. Le jeune homme a juste envie de s'enfuir, mais se force à rester. C'est un peu de sa faute si Yuri est autant en détresse, non ? Même s'il blâme Victoria pour ne pas avoir su fermer sa gueule, il ressent une part de responsabilité.
S'il finit par répondre à son ami.e, il ne le fait pas vraiment avec le sourire.

Écoute, Yuri, je sais que tu veux le bien de tout le monde mais... il y a des gens qui tu ne peux juste pas aider, commence-t-il d'une voix morne, j'ai toujours été comme ça. Depuis l'enfance. Et oui, j'ai déjà cherché de l'aide. On m'a dit que ça passerait, ça n'est pas passé, et je pense que ça ne passera jamais.

Il hésite à parler du reste. Il ne veut pas déballer son sac, mais c'est ce qu'exige Yuri, n'est-ce pas ? C'est avec un certain cynisme qu'il avoue :

Et à part ça, "qu'est-ce qui ne va pas" ? Pour commencer, je n'ai pas vu ma mère depuis presque dix ans, ma vie est un échec, j'aime un homme qui me méprise... tu veux que je continue ?

Plus le temps passe, plus il désespère au sujet de Grigori. De "j'ai peut-être une chance" à "au moins c'est un bon ami" à "il voudrait me voir mort". Il n'en a pas de preuve, évidemment, mais il en est persuadé. Il a beau avoir son don depuis la naissance, il ne sait toujours pas faire la différence entre les réelles auras et sa paranoïa.

Tu ne peux pas comprendre ça, n'est-ce pas ? Toi et Volkov filez le parfait amour. Félicitations, d'ailleurs !

Son ton sarcastique n'est pas agréable à entendre... plus les minutes passent, plus Mishka s'enfonce dans l'aigreur. S'il ne le dit pas, sa jalousie envers Yuri est assez évidente. Iel aime son métier, c'est une personne belle appréciée de toutes et son amour est réciproque. Bien sûr, Mishka préfèrerait crever que de se taper le vieux, mais reste que son ami.e quelque chose qu'il convoite et n'aura probablement jamais.

Mishka entend le son de la claque avant même de voir venir le geste.

Est-ce son imagination ? Ou les murs de pierre de la cathédrale qui ont fait résonner le bruit ? Toujours est-il que l'écho se joue encore dans son esprit alors qu'il peine à comprendre ce qu'il vient de se passer.

Sa joue le brûle, mais ce n'est pas le plus douloureux. Le plus douloureux... c'est de réaliser que de tous les humains sur cette Terre, il a poussé Yuri à la violence. Yuri, connu.e pour sa patience angélique et sa capacité à voir le bien en tout être. Pour s'attirer sa colère, il a dû sacrément merder.
Non. Il A sacrément merdé.

Les larmes ne coulent pas, mais elles en meurent d'envie, et le façon dont les lèvres de Mishka se tordent trahissent un chagrin presque enfantin. La colère est retombée instantanément. Belle morale, peut-être, qu'il ait suffi d'une bonne baffe pour le ramener à sa réalité. Mais tant que c'est efficace... il s'en veut déjà d'avoir dépassé les bornes et jamais il n'en voudra à son ami.e d'en être arrivé là.

Quelque part, il pense qu'il se serait baffé aussi s'il s'était écouté.

"Égoïste"... ce n'est pas la première fois qu'il entend ce reproche. Victoria le lui a craché quelques jours plus tôt, et il en souffre encore. Yuri ne fait que remuer le couteau dans la plaie. Il n'a pas été élevé comme un égoïste, pourtant. Ses parents lui ont toujours appris à être aimable et empathique. Il doit être un bon fils de merde. Il sait bien, après tout, que tout le monde a ses problèmes, qu'il n'est pas le seul à souffrir. Mais comme un adolescent en pleine crise, il se sent incompris.

Il y en a des gens nerveux. Tous ne se taillent pas les veines.
Il y en a des gens en peine de cœur. Tous ne veulent pas sauter du haut du clocher.
Il y en a des gens qui sont loin des leurs. Tous n'espèrent pas pourrir six pieds sous terre.

Il le sait, que sa vie pourrait être pire. Qu'il pourrait perdre une jambe, qu'il pourrait crever la faim sous un pont, qu'un proche pourrait perdre la vie. Est-ce qu'il a envie de vivre assez longtemps pour que ça arrive ? Non. Et c'est bien ce qu'il n'arrive pas à expliquer. Victoria n'a pas compris. Il n'est pas certain que Yuri comprenne non plus. Et risquer de se heurter à son incompréhension ou pire - son rejet - le terrifie.

J'ai peur.

C'est tout ce qu'il arrive à articuler à travers sa gorge nouée.

J'ai peur, voilà. De quoi ? Je sais pas. De tout ? Depuis toujours. Et ça me fait mal, merde. J'ai mal physiquement et j'en peux plus. Je veux pas vivre encore des décennies comme ça, comme un cadavre ambulant. Et je sais qu'il n'y a rien à faire. Je suis juste une grosse tapette, c'est tout. Si tu veux me faire internet vas-y, je vois pas vraiment ce que tu peux faire d'autre...

La peur, ça ne se soigne pas. Et ça, cette pauvre Yuri n'y peut rien. Raison de plus de ne pas vouloir le mêler à ça.

Mishka peut sentir que l'aura de Yuri s'est apaisée.
Elle ne le brûle plus, elle coule comme l'eau un jour de pluie. Un peu mélancolique... mais calme. Et reposant, d'une certaine façon.

Ça lui permet de respirer un coup. Ses muscles se détendent, mais son estomac est toujours retourné et son cœur lui fait toujours autant de mal. Les yeux baissés, il n'ose pas regarder ceux de son ami. Il ressent encore la honte de l'avoir poussé à la violence.

Il sursaute en sentant la peau de Yuri effleurer la sienne. Il la laisse attraper ses mains tout en douceur. Il apprécie le contact mais s'en sent un peu indigne. Égoïstement, il laisse la chaleur remonter le long de ses bras. Il n'aime pas se sentir vulnérable... mais peut-être qu'avec iel, il peut se le permettre.

Je sais bien que tu ne peux pas me guérir... c'est pour ça que j'ai... je sais que j'ai dépassé les bornes, mais tu vois peut-être pourquoi je pensais que tu ne comprendrais pas...

S'il avait été plus net dans son esprit, il l'aurait probablement dit d'une manière plus respectueuse. Impossible de réécrire le passé malheureusement. Tout ce qu'il peut faire, c'est éviter de laisser la colère le contrôler de nouveau.

Comme je t'ai dit, j'ai déjà cherché de l'aide. On m'a emmené chez un psy quand j'étais petit... me juge pas s'il te plait... il en a encore un peu honte. Les psys, c'est bon pour les fous comme on dit, il m'a dit que j'étais "juste timide" et... j'ai peur qu'ils me disent tous la même chose. Qu'il n'y a rien à faire. Et dans ce cas là eh bien...

Il ne finit pas sa phrase. Il se doute que Yuri n'a pas envie d'en entendre parler. L'apprendre de la part de Victoria l'a déjà bouleversé.e, alors de la bouche de Mishka ? Le blond s'en veut de l'avoir énervé, mais il s'en voudrait infiniment plus de lea faire pleurer.

Yuri affiche encore son sourire signature. Celui-ci est plus triste que d'habitude, il reflète la mélancolie qui émane de la jeune personne. Un sourire triste, certes, mais sincère, que Mishka s'efforce d'apprécier. Sentir ses mains dans celles de son ami.e le réconforte un peu. Il a tellement besoin de chaleur humaine, il s'en fout bien de ce que pourraient penser certains en le voyant comme ça.

Il serre les dents quand Yuri lui propose, s'il le faut, d'écumer tous les psychologues de Strana. Il n'a vraiment pas envie de répéter l'expérience de son enfance, vraiment pas. A l'époque, il était sorti soulagé du cabinet, croyant dur comme fer aux paroles du médecin, mais maintenant ? Il sait bien que ce n'était qu'un con qui avait raconté n'importe quoi. Et il a peur de ce que lui dirait une personne compétente.
Est-ce qu'il est bon pour l'asile ? Il pourrait tenir compagnie à la mère de Yuri, tiens. Bien qu'elle n'ait pas l'air d'être une personne très fréquentable... s'il est fou, il mérite bien la compagnie d'une hystérique.

Il n'en dit rien, cependant. Il a trop peur d'énerver de nouveau lea championne.

T-tu es sûr ? demande-t-il d'une petite voix, je m'en veux un peu de t'entrainer là dedans... tu n'es pas ma mère, dit-il dans un rie jaune.

Yuri est plus jeune, et pourtant, c'est ellui qui s'occupe de Mishka comme s'il était un enfant. Il le sait, pourtant, qu'il a presque trente ans, qu'il devrait se comporter comme un adulte. Est-ce que c'est cette angoisse en lui qui l'empêche de grandir et de devenir mature comme il le devrait ? Toujours est-il que malgré le fait qu'il préfèrerait que Yuri ne soit pas mêlé à ses problèmes, il apprécie son aide.

Mais merci quand même, je... je crois que je devrais éviter de rester seul, en ce moment...

Introverti dans l'âme, Mishka apprécie ses moments de solitude de temps en temps. Mais plus son esprit pourrit, plus le silence devient une excuse pour ses pensées de virer au noir. Alors, même si Yuri ne peut pas le soigner, peut-être que sa présence peut lui permettre d'oublier les idées sombres l'espace d'un instant.

Son cœur se réchauffe lentement, comme un petit pain au four en entendant les promesses de Yuri, en sentant sa main se poser sur son visage. Il avait besoin d'entendre ce genre de choses. Il avait besoin d'être rassuré, touché, câliné. Et même s'il s'en sent encore indigne, en particulier après son pic de colère, il se permet d'être encore un peu égoïste. De profiter de la gentillesse de son amie, "puisqu'elle insiste".

Il ne savait pas à quel point il avait besoin de compagnie... enfin, si, il le savait pertinemment, mais enfermé dans sa propre forteresse, il refusait de l'admettre. Après tout, si maman n'avait pas pu l'aider, personne ne le pourrait. Il semblerait que Yuri soit déterminé à essayer. Dans l'esprit de Mishka, personne ne sera jamais aussi parfait que sa mère, mais qui sait, peut-être que lea championne avait ce petit quelque chose qui manquait à la ballerine.
Ça lui fait mal au cœur d'admettre ça... mais s'il y a bien une personne qui en est capable, c'est cette jeune personne, si mince et petite, et pourtant mille fois plus forte que lui.

Une main lâche la sienne, mais l'autre vient le tirer en avant, lui arrachant un petit cri de surprise. Yuri a décidé de l'inviter manger un bout. Pris au dépourvu, il bégaie :

J-je ne peux pas ! L'arène, je dois...

Yuri ne s'arrête pas. Il soupire... une fois que son ami a quelque chose en tête, c'est impossible de le faire changer d'avis.

Bon... juste pour cette fois, alors...

Il espère qu'aucun dresseur ne viendra le voir... il serait probablement déçu de voir l'arène fermée. Il le serait encore plus de savoir que c'est parce que le champion est parti déguster un Big Nac avec un copain. Sur le moment, Mishka n'arrive pas à s'en soucier.