Il se fait tard, au sommet de la cathédrale.
Le soleil s'est déjà couché, l'arène est censée être fermée. Et pourtant, la lumière brille toujours dans le clocher.

Elle ne dérange pas Mishka, profondément assoupi sur son siège. Il respire lourdement et grimace de temps en temps, trahissant le fait que ses rêves sont tout aussi agités que son esprit éveillé. Il revoit peut-être son altercation avec Victoria, encore trop fraiche dans son esprit. S'il s'était écouté, il ne serait pas venu travailler aujourd'hui. Il sentait encore le venin de la Séviper le ronger jusqu'à l'os.

Mais s'il y a bien une personne plus effrayante que Victoria, c'est Genya. Alors il a serré les dents, comme toujours.

Gala elle aussi, est bien endormie dans le creux de ses jambes. Mais la petite dragonne a le sommeil léger. Lorsque des bruits de pas se font entendre dans l'escalier, elle sursaute et part se cacher derrière le fauteuil en roulant. Elle aurait probablement dû réveiller son dresseur, mais il est trop tard. Quelqu'un arrive, s'avance vers Mishka et...

Le blondinet se réveille en poussant un petit cri lorsqu'une main se pose sur son épaule. Ses yeux rencontrent une paire d'iris ambre assez familiers. Autant dire qu'en reconnaissant le visage du ministre de l'intérieur, ses peurs ne sont pas du tout apaisées. Pourquoi lui ? Pourquoi maintenant ? Est-ce qu'il a fait quelque chose de mal ?
Est-ce que Victoria l'a dénoncé ? On n'arrête pas les personnes pour être suicidaires à Strana, pourtant.
Mishka n'a rien fait de mal. Il sait qu'il n'a rien fait de mal. Et pourtant, impossible d'ignorer le sentiment de culpabilité qui le bouffe alors que Fyodorovitch et lui s'observent en silence. Il doit bien sentir son malaise, puisqu'il finit par prendre la parole.

Excuse-moi, Beliaïev, je ne voulais pas t'effrayer, explique-t-il, lui-même un peu gêné, j'ai vu la lumière allumée et je me suis inquiété.

Le cœur de Mishka commence doucement à reprendre son rythme normal. Il souffle lentement, avant d'essayer d'esquisser un maigre sourire... en vain.

Quelque chose ne va pas ? lui demande le brun.

Le champion hésite. Il n'a pas envie de parler. Il a envie de parler. Les deux en même temps. Il est des choses qu'on ne peut pas juste confier à son Verpom, qui ont besoin de sortir, d'être dites à un autre humain.
Et en parlant de Verpom... Gala sort de sa cachette. Sa peur semble dissipée, elle roule vers Oktyabrin et se laisse ramasser et caresser. Bon... si la demoiselle fait confiance à cet "inconnu", il peut peut-être se confier un peu.

C'est compliqué... commence-t-il, sans trop savoir comment attaquer, il s'est passé quelque chose hier. Je n'ai pas envie d'en parler en détail, une affaire de famille. Et... je n'ai pas envie de rentrer. Je n'ai pas envie d'être seul...

Mishka baisse la tête. Il est mort de fatigue. Son corps le supplie de rentrer se reposer, mais son cerveau est terrifié de la solitude qui les attend. Le voilà coincé comme un con dans son arène, où il aurait probablement passé la nuit sans l'intervention de Fyodorovitch.

Je comprends... souffle-t-il, par politesse probablement, je peux te raccompagner jusqu'à chez toi ?

Son sourire semble sincère, mais son aura, depuis son arrivée, semble tremblante, comme l'est celle de Mishka. Il est... nerveux ? Le blond regrette toujours autant d'être capable de ressentir mais d'avoir autant de mal à interpréter. Même s'il avait raison, il ne voit pas ce qu'un homme si haut placé craindrait avec lui. Il est plus grand de quelques centimètres et Mishka ne représente une menace pour personne. Pas même un Bombydou. Peut-être le vertige, alors ? Le jeune homme suppose que ça fait sens.

Ce serait plus sage de rentrer, oui... merci.

Peut-être qu'un peu de compagnie sur le trajet du retour lui fera du bien. Peut-être qu'il se sentira un peu plus apaisé chez lui après avoir papoté quelques minutes. Il remet son manteau, appelle Gala et la laisse monter dans ses bras. L'intérêt que la Verpom porte au ministre l'amuse un peu.

Elle est plutôt timide, d'habitude, c'est drôle, songe-t-il à haute voix, je ne sais pas trop d'où elle vient... c'est un cadeau mais... je pense que ça devait être une erreur.

Il sait que Grisha ne l'aime pas. Il le savait déjà quand il a reçu Gala un beau jour. Mais il ne voyait pas qui d'autre aurait pu... et encore maintenant, il n'en a aucune idée. Si ce n'était pas une erreur, alors c'était une mauvaise blague de quelqu'un qui le savait assez fleur bleue pour y croire.
Il se demande l'espace d'un instant s'il n'a pas gaffé. Oktyabrin reste silencieux. La conversation ne reprend que quelques minutes plus tard pour des mondanités. La météo, les combats de champion, comment se porte Milyy. Que des choses innocentes et pourtant... Mishka ne peut pas s'empêcher de trouver quelque chose... étrange.

Il ne saurait pas mettre le doigt dessus. L'aura d'Oktyabrin est toujours aussi dense. Il dit des choses banales mais quelque chose demande à sortir. Mishka n'ose pas le relever. Ce ne sont pas ses affaires et... il n'est pas sûr de quoi faire si le brun devient soudain émotif. Il sait à peine gérer ses propres émotions alors celles des autres ? Un pur cauchemar.

Le trajet est à la fois trop court et trop long. Trop long, parce que Mishka n'a jamais été doué pour discuter de la pluie et du beau temps. Trop court, parce qu'il aimerait parler encore. Parler de quoi ? Il ne sait pas. Il s'en fout. Il a beau être légèrement gêné, il préfère ça à la solitude qui l'attend à l'intérieur. Il n'ose pas demander... ça serait déplacé... et jusque là, Fyodorovitch et lui n'ont jamais été que des connaissances, se croisant au Palais Pourpre. En toute honnêteté, Mishka était même intimidé par les sourires qu'il lui lançait.
Mais le brun ne part pas. Il reste face à lui, à le regarder avec... inquiétude ? Le champion peine à comprendre. Ses yeux et son aura envoient des messages trop différents. Tantôt nerveux, tantôt inquiet, alors qu'au final, il ne ressent probablement que du mépris, ou de l'indifférence tout au mieux. Et c'est perdu dans cette purée de sentiments incohérents que Mishka trouve le courage - ou plutôt la bêtise de demander :

Tu veux bien rester un peu ? Boire une tisane ou quelque chose ?

Oktyabrin soupire, mais son souffle se finit dans un sourire. Il devait retenir sa respiration devant un moment. Mishka ne peut s'empêcher un petit rire en se demandant si, tout simplement, Oktyabrin est juste du genre anxieux, comme lui.

D'accord, mais laisse-moi la préparer. Tu as besoin de repos.

La bienséance et autres code sociaux devraient dicter à Mishka de refuser et d'être un hôte qui se respecte. Mais il en a besoin, de ce fameux repos. Et il a bien envie qu'on s'occupe de lui, pour une fois. Il a toujours tant de pression sur le dos que parfois, le simple fait de cuisiner peut être la goutte de trop. Il remercie alors son invité, le laissant rentrer avant lui. Gala, elle, roule tranquillement jusqu'à son panier pour roupiller. Elle est plus sage que son humain.

Avoir une présence dans la maison l'apaise. Il se surprend même à sourire. Oh, comme il aimerait avoir la chance de vivre avec quelqu'un... mais même si les Stranaïtes ont un rapport... particulier aux couples homosexuels, il faudrait déjà que quelqu'un veuille de lui.

Oktyabrin arrive avec deux tasses d'eau chaude. Il a galéré à trouver la boîte à infusions, apparemment, mais l'essentiel est d'y être arrivé avant que l'eau ne refroidisse. Ils laissent reposer leur boisson dans un silence... confortable. Mishka se surprend à aimer le calme, interrompu de temps en temps par quelques gorgées de tisane. L'heure tourne, rythmée par le tic-tac régulier de l'horloge de grand-père, et les tasses se vident peu à peu.
C'est avec un sourire timide et amer que le blondinet finit par dire.

Je crois que je ne peux pas vraiment te retenir plus longtemps, il se fait tard...

Il est près de minuit, après tout. Fyodorovitch n'a sûrement pas que ça à faire de trainer chez un "collègue" toute la nuit. Mishka aurait aimé être un adolescent, pouvoir proposer une pyjama party sans avoir l'air bizarre. Mais la vie d'adulte est compliquée.

Tu es sûr ? Ça ne me dérange pas de rester un peu.

Il sourit. Mishka lui sourit aussi. Il ressent quelque chose de positif, pour une fois, via l'aura d'Oktyabrin. C'est chaud. C'est confortable. Comme un duvet en plumes de Couaneton par une nuit d'hiver enneigée. Il sent quelque chose qui l'attire vers lui, comme un aimant. Physiquement. Il pourrait se tromper mais... au final, par dessus toutes ses angoisses et surtout son sens logique, c'est son besoin viscéral de chaleur humaine qui prend le dessus, se jetant presque littéralement comme un fauve sur Oktyabrin pour l'embrasser.

C'est une pure connerie. Il ne sait pas s'il aime les hommes. Il pourrait être homophobe même ! Et même, il aurait pu le rejeter en tout bien tout honneur. Mais pour une fois, son sixième sens devait avoir raison. Il sent le brun se détendre après la surprise initiale, mettant même un peu de lui dans ce baiser.
... ce n'est pas assez pour Mishka. Il en veut plus. Il veut le galocher comme une jeune kalosienne. Il veut qu'il le touche, il veut qu'il caresse sa peau gelée. Des mots qu'il n'oserait dire et de toute façon - sans vouloir être vulgaire - on ne parle pas la bouche pleine.

Il est des choses qu'on a pas besoin de dire de vive voix. Le regard de Mishka parle mille mots. Il suffit de voir s'embraser les joues d'Oktyabrin. Qui visiblement, n'a pas l'air près de partir.