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L'ambiance à table est de mort.
Mishka ne sait pas pourquoi il a accepté de rejoindre le repas de famille de sa cousine. Enfin... si, il sait exactement pourquoi : parce qu'il n'aurait pas eu les couilles de lui demander de parler seul à seul sans profiter d'une occasion pareille. Mais tout semble montrer qu'il n'est pas à sa place ici.

Déjà, il y a trop de monde dans cette pièce. Comment son père fait-il, exactement, pour supporter de ressentir les auras toute la journée ? Celle de Victoria empeste. Celle de Dimitri l'étouffe. Celle de Balthazar le rend fiévreux. Et sous tout ce bordel, il n'arrive même pas à capter celles de Maggy et Yuri. Un véritable bourbier qui lui coupe totalement l'appétit.

Et c'est sans compter sur le boucan qui l'entoure. Les bruits de mastication, le métal de couverts s'entrechoquant, les fourchettes crissant sur la porcelaine, les dialogues - pourquoi diable parlent-ils tous aussi fort ? Et que ça crounch, et que ça cling, et que ça crrr et que ça blablate. Ça n'en finit pas et Mishka n'a même pas la force de se distraire avec sa nourriture qui lui semble aussi appétissante que la boule de boue d'un Léboulérou.

Tous ces miasmes... tous ces bruits... et cette fichue impression que quelque chose le fixe derrière lui. Pourtant, personne ne fait attention à lui, à table... peut-être un des spectres auxquels Volkov et ses gamins peuvent parler ? Il tremble et transpire, mais reste comme figé, tenant ses couverts d'une poigne de fer. Comme si l'angoisse de parler à Vic ne suffisait pas, le voilà en train de se noyer dans un torrent de stimuli.

Tout va bien, Mishka ?

La voix de Yuri, pourtant si belle et douce, le fait sursauter comme le rugissement d'un Némélios.
Il dévisage lea champion.ne avec les yeux d'un Ramoloss, tourne son attention vers son assiette, toujours aussi remplie, puis de nouveau vers le regard inquiet de Yuri... avant de constater que par son intervention, le patineur a attiré toute l'attention sur lui.  Il a l'impression d'être tombé dans un guet-apens, encerclé par des prédateurs qui menacent de le dévorer s'il ne répond pas ou que leur réponse ne plait pas.
Sans vraiment s'en rendre compte, il a déjà reculé dans sa chaise. C'est alors qu'il comprend que la fuite est probablement la meilleure option. Le regard fuyant, il essaie de s'excuser.

D-désolé, je... laissez-moi un instant.

Il disparait derrière la porte des toilettes, s'enferme et s'assoit pour contrôler sa lourde respiration. "C'était moins une", pense son cerveau, alors qu'il sait quelque part au fond de lui qu'il ne risquait rien à table avec des gens de sa famille. Sa famille ? Non, ce groupe d'énergumènes n'a rien à voir avec sa famille. Ce n'est qu'un petit rituel que Victoria a mis en place pour avoir un semblant de normalité dans sa vie et celle de ses enfants. Il sait bien, qu'elle ne peut pas le piffer, qu'elle le méprise, ça se sent dans toutes ses petites mimiques attitudes.

Et avec un peu de chance... elle acceptera sa demande pour cette même raison.

Lorsqu'il trouve enfin le courage de sortir de sa cachette, le repas est déjà terminé. Il peut entendre au loin le son des assiettes se faire empiler après la vaisselle. Il avance par petits pas, se faisant aussi discret qu'il le peut. Lorsqu'il tombe, avant quiconque d'autre, sur Victoria, c'est à la fois un soulagement et une source d'angoisse. Mais s'il y a bien un moment où il peut l'interpeler, c'est maintenant.

Excuse-moi, Victoria. Je... j'aimerais te parler de quelque chose d'important, hésite-t-il, là où les enfants ne pourront pas nous entendre...

Elle n'a pas l'air convaincu, mais finit par acquiescer, le menant jusqu'à la pièce suivante. Une fois la porte close, les sons de la maison disparaissent. Ici, il ne devrait pas y avoir le moindre risque que les autres l'entendent parler.

Il prend une grande inspiration. Ce n'est pas un sujet facile. A vrai dire, il n'en a jamais parlé à personne avant. Pas même Rodion, qui connait toutes ses angoisses mais pas ses sombres envies. Dire que de toutes les personnes, c'est à Victoria qu'il va en toucher un mot... c'est ironiquement une des seules personnes à pouvoir l'aider.

Voilà, je... je veux mourir, affirme-t-il avec une bien triste conviction, je ne vais pas t'ennuyer avec ma vie, mais j'ai besoin de ton aide pour... pour disparaître, quoi. Je sais que tu t'y connais. Tu as peut-être quelque chose qui passerait inaperçu ? Histoire que personne ne tienne responsable...

Il garde pour lui la confession qu'il en rêve depuis des nuits. Qu'il se voit boire le mauvais thé et agoniser pendant des heures. Et il aime l'idée. Tout comme il aimait celle de finir en compote au pied de la cathédrale. Cette dernière tentative avait été une erreur... parce qu'il n'a jamais été doué en quoi que ce soit. Mais avec l'assistance de sa cousine, il est certain du résultat.

Elle n'est pas l'empoisonneuse de la tsarine pour rien.

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Au premier abord, Victoria n'a pas l'air d'avoir écouté un seul mot, plongée dans un bouquin depuis qu'elle l'a invité à rejoindre le boudoir. Mishka aurait préféré que ça soit le cas, au vu de ce qui allait suivre.

L'aura déjà angoissante de sa cousine vire au rouge. Mishka se sent piégé, comme ligoté, alors que les miasmes l'étouffent et écrasent sa chair. Mais il est trop tard pour reculer. Ce qui a été dit a été dit, et il n'y a même pas besoin de ressentir les auras pour savoir que le jeune homme a merdé. Il suffit de voir le pur mépris qui se dégage du visage de l'héritière Lanskoï.

La mention de Fyodorovitch le surprend. Le ministre ? Qu'est-ce qu'il a à faire dans cette histoire ? Mais Mishka n'a pas le temps d'ouvrir la bouche que Victoria s'est déjà mise à crier.

Il veut juste partir. Se faire tout petit comme un Rattata et disparaître dans un trou dans le plancher. Ne devenir qu'un grain de poussière invisible aux yeux de la furie. Il a déjà envie de chialer, mais depuis toutes ces années, il a appris à retenir les larmes. C'est une bonne chose, car il sait qu'en verser une enragerait encore plus Victoria. Il les connait, les gens comme ça, qui au lieu de s'inquiéter pour des pleurs comme des êtres humains normaux s'en offusquent, incapable d'accepter que le mal puisse venir d'eux, probablement.
Papa l'avait bien prévenu de se méfier de Victoria, il a juste eu le malheur d'être assez naïf pour croire que leur lien de parenté suffirait à ce qu'elle ne lui crache pas dessus.

Elle l'accuse d'avoir fait du mal aux enfants par sa seule présence. Lui reproche d'avoir pourri l'ambiance. Elle l'a sûrement pas tort sur le second point, mais qu'y peut-il si les gamins peuvent sentir son malaise ? Il n'est pas la cause du "don" familial aux dernières nouvelles. Et, s'il avait su cacher son aura, il l'aurait fait depuis belle lurette. Il n'aime pas se sentir vulnérable, et particulièrement pas avec la jeune femme aux cheveux lavande.

Sa violence redouble. S'avançant vers son cousin, elle lui saisit agressivement le visage pour le forcer à la regarder dans les yeux. Il est persuadé de voir le feu de l'enfer y brûler. Il regrette tellement... d'avoir demandé ça, d'avoir parlé de ses sentiments, d'être venu à ce repas, d'avoir rencontré Victoria, d'être venu à Strana... tant de choses ont dû se produire pour venir à ce moment-même où le malêtre le dévore.

Victoria lui crache son venin à la gueule. Il peut le sentir s'infiltrer dans son corps et se propager le long de ses veines, il commence même à dissoudre son estomac et faire pourrir ses organes de l'intérieur. Il veut juste fuir. Peut-être aller se faire bouffer par un Ursaring comme le propose si gentiment Victoria.

Il se laisse tomber mollement lorsqu'elle le lâche enfin. Il tremble comme une feuille dans son fauteuil, mais Victoria ne le remarque pas, déjà replongée dans son roman. Et de toute façon, elle n'en aurait sûrement rien à faire. Peut-être en tirerait-elle même une part de fierté et de satisfaction de le voir se tenir recroquevillé comme un enfant.
Ses mots font mal. Toujours plus que le précédent.
Elle a raison, quelque part. Il ne veut pas mourir parce qu'il ne craint pas la mort ou la désire réellement. Il veut mourir parce que son existence le terrifie. Ce qu'elle ne comprend pas, c'est qu'il n'y a rien à faire pour améliorer la situation. Il est seul, quoiqu'en dise la harpie, puisque tous ceux qu'il l'aime et qui l'aiment sont restés à Keros. Et seul, il ne peut rien faire. Pas qu'il n'ait pas essayé. Elle croit vraiment que ça lui plait de se sentir agoniser tous les jours ? Il n'y a vraiment rien à extraire d'elle... rien de bon, en tout cas.

Alors, avant qu'elle ne puisse ajouter quoi que ce soit pour remuer le couteau dans la plaie, il se lève maladroitement et lui octroie un dernier regard vague.

Bien. Je ne t'importunerai pas plus, alors.

Il claque la porte derrière lui. Non pas par rage, mais par maladresse. Il se sent mal. Il se sent faible. Il crève d'envie de pleurer mais garde ses larmes pour son lit. Il a l'impression d'être si fragile qu'il ne tiendra pas jusqu'à chez lui, que le simple trajet vers la gare est insurmontable et que tout serait tellement plus simple si Victoria pouvait changer d'avis et lui trancher la gorge là, tout de suite.

Il vacille vers l'extérieur comme un Spinda aviné, oublie presque son manteau, qu'il décroche non sans faire tomber le porte-manteau avec. Il n'a pas la force d'en avoir quelque chose à foutre. Une fois dehors, il réalise qu'il ne peut plus tenir. Que le venin de la Séviper lui a trop rongé les tripes et qu'il doit sortir. Tant pis pour les géranium de Victoria... il rend le peu du repas qu'il avait mangé et peut presque sentir les mots aiguisés de Victoria sortir. Étrangement, ça fait presque du bien. Il est toujours fébrile, mais il n'a pas trop le choix. C'est avec ce qu'il lui reste d'énergie et de volonté qu'il met son manteau sur son dos et s'éloigne de la demeure Lanksoï.

Il aurait aimé dire au revoir aux enfants, à Yuri, même à Dimitri si ça pouvait lui éviter une malédiction. Mais pas question de s'attarder ici. Il peut encore sentir les miasmes de Victoria depuis son jardin. Il disparait sans cérémonie et se promet de ne plus jamais - jamais - faire confiance à sa cousine.

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Mishka titube dans sa salle de bain avant de s'accrocher au rebord de l'évier comme s'il s'agissait d'une bouée de secours. Il se sent toujours aussi fiévreux, toujours intoxiqué par les miasmes de Victoria. Le trajet en train était une pure torture qu'il a hâte de faire cesser au plus vite.

Ses mains tremblantes cherchent, paniquées, la poignée du tiroir et fouillent désespérément. Au milieu des échantillons gratuits jamais ouverts, des peignes qui n'ont pas été utilisés depuis des années et autres produits dont il ne connait même pas l'utilité, il trouve ce qu'il veut. Il s'était promis de ne pas recommencer... il tenait bon depuis un moment, même, probablement parce qu'il s'imaginait déjà six pieds sous terre.
Mais chassez le naturel et il revient au galop, comme on dit. Ça fait depuis son départ de chez Victoria qu'il en ressent l'envie - non, le besoin. Il doit faire sortir cette... chose qui lui fait bouillir les veines avant d'agoniser.

Le premier éclat de sang lui arrache un cri de satisfaction, comme s'il venait de se retirer une énorme épine du pied. Putain de merde, comme ça lui avait manqué... il n'en avait aucune idée jusqu'à maintenant et il se demande même pourquoi il avait arrêté. La part raisonnable de son cerveau le sait. C'est mal, ce n'est pas sain, c'est dangereux... et si maman savait ? L'autre s'en fout. Elle est juste soulagée de sentir les émotions sortir.

La rage jusque là enfouie de Mishka rampe sous sa peau. La tristesse et la fragilité qu'il a ressenti face à Victoria ont disparu. Il n'y a plus qu'une âme furieuse qui ressent un besoin fou de crier.

Mais quelle pute !

Les mots - aussi vilains soient-ils, avaient besoin de sortir. C'est à son reflet tout aussi enragé que lui que Mishka fait face, bien qu'il aurait aimé avoir les tripes de les dire à sa cousine.

Je vais te le foutre au cul ton misérabilisme ! Je voudrais presque voir tes gosses clamser pour te voir chialer. Nan, mieux. Qu'ils te laissent crever comme la sale chienne que t'es quand ils réaliseront que leur mère est la reine des salopes !

Sa respiration est lourde. Il ne se reconnait pas, dans le miroir. Ses cheveux sont trempés de transpiration, ses bras désormais complètement dégueulassés, et c'est sans compter sur ses yeux rouges à force de chialer.

Des efforts... des efforts ? Désolé madame, de pas aller me faire engrosser par le premier connard pour donner un sens à ma vie ! À combien t'as vendu ton fion à Volkov tiens ? Je comprends pas comment même lui il a pu vouloir de toi !

Une porte grince derrière lui, le faisant sursauter. Dans l'encadrure se tient Milyy, qui le regarde d'un air inquiet. Le regard surpris de Mishka laisse bientôt place à une expression indescriptible. Les antennes du Dracolosse se plaquent contre sa tête. Il a peur.

Milyy ! MILYY ! Tu tombes à pic mon beau. J'ai besoin de toi.

Il s'approche timidement, intimidé par l'état de son maître mais toujours aussi docile.

Je veux que tu utilises Ultralaser sur ton petit frère, tu veux bien ? dit-il d'une voix trop mielleuse pour être sincère.

Milyy recule. Il obéit normalement à tous les ordres de Mishka mais... lui faire du mal ? Il en est incapable.

Milyy ! Je t'ai demandé quelque chose. Ultralaser !

Toujours rien. Le dragon se contente de couiner comme un petit Ponchiot, ce qui ne fait qu'augmenter la rage de son dresseur.

UL-TRA-LA-SER ! T'es con ou tu le fais exprès, merde ?!

C'en est trop pour le brave Milyy, qui se laisse tomber sur le derrière et se met à pleurer à chaudes larmes. Ses sanglots semblables à des notes de trombone font trembler tout le bâtiment, mais surtout, elles réveillent quelque chose chez Mishka. Elles lui rappellent que derrière cette crise de rage, il a bel et bien un cœur.

Oh... Milyy je... il s'approche du Dracolosse, qui se crispe en attendant un coup qui n'arrivera jamais, je suis désolé... j'aurais pas dû dire ça... marmonne-t-il d'une voix enrouée alors qu'il prend le dragon dans les bras.

Revenir à ses esprits lui fait réaliser dans quel état il a mis la salle de bains. Il y a des trucs partout par terre, qu'il a viré pour se faire un chemin vers son miroir. Ce dernier, comme beaucoup de choses, est couvert de sang. Et à propos de sang... il faudrait peut-être faire quelque choses pour ces plaies... il va devoir porter des manches longues pour plusieurs mois, visiblement... il se doute que Genya ne serait pas contente de savoir qu'il s'adonne à ce genre de choses...

Et Victoria... il devrait n'en avoir rien à foutre de ce qu'elle pense, après ce qu'il vient de se passer. Mais il ne peut pas s'empêcher de porter le deuil d'une cousine qu'il n'a jamais eue. Une qui aurait été une amie, un support, pas... pas cette mégère. Et pourtant, il s'en veut de ce qu'il a dit à cette Victoria imaginaire. Une part de lui pense ces horribles choses, mais c'est la même part qui lui dit de sauter du haut du clocher, de trancher dans la bonne direction ou de se laisser mourir de faim et de soif dans son lit. Il n'a d'autre choix que de devoir vivre avec et lutter contre.

À présent il ne lui reste plus que des regrets. Il se sent vide... c'est peut-être la solitude... ou alors l'anémie. Sûrement les deux. Impossible de nier à quel point il se sent putain de seul. Il a beau avoir ses Pokémon et les aimer de tout son cœur, rien n'est comparable à la chaleur humaine. Il est en manque... cruellement en manque. Et il risque bien de crever tout seul à ce point.