Chaque nuit avec Rodion est une honte sans fin.

Ce n'est pas vraiment digne d'un champion, d'un dresseur choisi par la tsarine elle-même pour représenter la grandeur de Strana, d'avoir recours à ce genre de services. On pourrait se dire, qu'après tout, vu son statut, il n'aurait aucun mal à se trouver une petite amie, ou même, soyons fou, un petit ami, tant que ça reste discret !
Mais non, la seule personne qui l'intéresse n'a plus son cœur à prendre, et le sien, à Mishka ? Il se contente de pourrir dans ce corps faible, régi par un cerveau qui l'est tout autant. Il pourrait juste... avouer ses sentiments, accepter de rester amis ou simplement passer à autre chose. Mais... passer à autre chose, c'est bien quelque chose que Mishka ne sait pas faire.

Déjà, arrivé à Strana, être séparé de sa mère avait été un enfer. Comment une tempête dans l'océan où il se noyait, noyait et avait beau nager, nager mais n'atteignait jamais la surface. Puis, une main venue d'en haut a attrapé la sienne et l'a hissé hors de l'eau. C'était ainsi, tout du moins, qu'il a vu Grigori, lorsqu'il lui a adressé la parole la première fois. La première conversation amicale qu'il avait eu depuis... depuis toujours. Mishka n'a jamais été doué pour se faire des amis.

Alors, qu'est-ce qu'il lui reste ? De la frustration. De la frustration qui s'exprime de plus d'une façon et il n'est pas vraiment fier d'avoir choisi l'option "pute".

Soyons plus respectueux. Rodion est un gentil garçon. Il est beau, intelligent et sincère. Il ne vend pas de rêve à ses clients, juste une nuit contre quelques pokéroubles pour arrondir ses fins de mois. Parce que Mishka ne veut plus jamais se risquer à aborder un autre gigolo, et aussi parce qu'il a fini par apprécier la présence du jeune homme, ces visites se font assez régulières. Rodion lui fait savoir quand il passe à Sankt-Duraluburg et la soirée se termine généralement à l'hôtel.
Et en plus de bien faire son boulot, Rodion écoute bien. Est-ce parce que Mishka est généreux ? Ou Mishka est-il généreux parce qu'il aime pouvoir se confier à lui ? Nul ne sait vraiment où a commencé ce cercle vicieux - ou vertueux, ça dépend du point de vue.

À ce stade, le jeune homme en sait plus sur la vie du champion que quiconque. Même ses propres parents n'en savent rien.
Chaque nuit avec Rodion est une honte sans fin, mais il doit bien admettre qu'il en a besoin. Dans un silence confortable, il le laisse poser sa tête sur son épaule et soupirer lentement. Il en a sur la poitrine. Il en a toujours.

La pièce est remplie de silence, seulement bercée par le son de la main de Rodion glissant sur sa peau dans un rythme rassurant. Ni l'un ni l'autre ne parle, mais les pensées de Mishka l'assourdissent. Parler de ses angoisses à un quasi-inconnu - pire, son gigolo - n'est peut-être pas l'idée du siècle, mais c'est loin d'être la première fois que ça arrive. Depuis le temps, le jeune homme aux cheveux bleus semble accoutumé à écouter les déboires du champion.

Est-ce que tu penses que je suis digne d'être aimé ?

Ok. Cette fois c'est peut-être un peu trop personnel et philosophique pour ce pauvre Rodion qui de base, n'est là que pour faire son boulot. Il dévisage Mishka, probablement pris par surprise par cette question, qui a dû le sortir de ses rêveries. Le blond réalise sa bêtise et soupire.

Laisse tomber, j'ai parlé avant de réfléchir.

Il aurait dû fermer sa gueule, se laisser bercer et s'endormir un peu avant de devoir quitter la chambre d'hôtel. C'est juste plus fort que lui, les mots comme les émotions sortent parfois tous seuls sans qu'il ne puisse le retenir. Certains diraient qu'il ferait mieux de consulter un psy, mais si ses souvenirs d'enfance sont fiables, il n'en a pas besoin. C'est juste son caractère, il n'y peut rien s'il est dur à vivre.