La nuit tombe de plus en plus tôt sur Strana, et les rues de Dusknograd n'ont rien de rassurant...
Vania a toujours trouvé cette ville plutôt glauque. De jour, il arrive à oublier toutes ces histoires de fantôme et de paranormal, mais quand le soleil se couche et que le brouillard se lève, il n'est clairement pas serein. Un secret bien gardé, puisque personne ne le prendrait au sérieux s'il admettait avoir peur de marcher tard le soir.

Un apprenti ranger se doit d'être courageux, alors il serre les dents.
Minuit le suit de près, ses yeux de rubis sondant les moindres recoins sombres, prêt à protéger son humain si nécessaire. Il se sent un peu rassuré avec l'Évoli à ses côtés, mais Vania préférerait ne pas faire de mauvaise rencontre pour autant.

Quelle idée d'avoir une soudaine envie de chocolat, aussi... s'il avait réfléchi, il aurait réalisé qu'il n'aurait pas le temps de revenir de l'épicerie avant que le ciel ne s'assombrisse. L'académie n'est pas si loin que ça, mais le temps passe lentement. Trop lentement. Vania jurerait qu'une entité le ralentit.
Il souffle un bon coup... c'est juste la paranoïa qui parle. Les Pokémon Spectre n'ont aucune raison de s'attaquer à lui, même une fois la nuit tombée. C'est juste difficile pour lui de lutter contre ce sentiment naturel d'insécurité qui le ronge depuis l'enfance.
 

Minuit est le premier à réagir.
Ca doit être son sang de Pokémon Ébène qui lui fait sentir une présence paranormale. Son échine tremble, son poil se gonfle, il se retourne soudain, queue battante, prêt à attaquer... mais ses yeux enragés se calment, sa fourrure reprend son volume normal et il se contente d'observer avec fascination.

Vania, lui, est figé depuis ce qui semble être des heures. D'abord surpris, puis effrayé par la réaction de son Évoli, c'est désormais la sensation de mains sur ses épaules qui le fait se sentir... il ne saurait pas le décrire.
Ce toucher est à la fois glacial et chaud comme une étreinte. Il sait que l'entité qui l'a approchée n'est ni humaine, ni animale, et qu'il devrait avoir peur. Mais pas une once d'anxiété dans son corps. Comme s'il était chez lui, sous sa couette, pendant qu'une tempête fait rage à l'extérieur. Il se demande même s'il n'est pas en train de rêver. Une morsure sur l'intérieur de sa joue suffit à lui confirmer que non. Ouille.

Il se retourne petit à petit alors qu'une voix féminine lui murmure des mots doux. Cette personne semble le connaître et pourtant, quand il se retourne, il croise le regard d'une inconnue.

Ou peut-être pas ? Il en est certain. Il n'a jamais vu cette femme, mais son regard d'ambre presque félin, ses cheveux noirs et pourpre, il les connaît bien, puisqu'il les voit tous les matins dans la glace. Il ne lui en faut pas plus pour faire le calcul et demander d'une voix incertaine :

Vous êtes ma-... ma mère ?

L'évidence est telle qu'il se sent un peu stupide de demander une telle chose. Mais jamais il n'avait songé rencontrer un jour celle qui avait donné sa vie pour la sienne. Parce qu'il ne peut pas voir les spectres ou leur parler comme le champion de Dusknograd. Aussi, quelque part, parce qu'il se disait bêtement qu'elle ne l'avait pas assez connu pour l'aimer. Elle l'a porté neuf mois dans son ventre mais est morte avant d'entendre ses premiers pleurs. Malgré ça, elle le regarde avec dans les yeux une tendresse qu'il n'avait jamais vu que dans ceux de madame Nightingale.

Les yeux d'une mère, quoi.
 

Vania s'en veut un peu, mais il n'en dit pas un mot.
Cette femme lui parle avec tant d'amour et de tendresse mais il ne ressent rien pour elle. Il la rencontre seulement aujourd'hui, et ce sera probablement la dernière fois qu'il la verra avant de lui-même rejoindre l'au-delà. Ce qu'il espère ne pas arriver avant de longues années.

Il fait tout de même de son mieux pour rester détendu avec elle, et essayer de se comporter comme un fils. C'est sûrement la moindre des choses, pour celle qui s'est sacrifiée pour lui donner la vie. Voilà qu'il s'invente une dette envers elle, comme si elle ne serait pas prête à mourir mille fois si ça lui permettait de vivre un jour de plus.

Désolé, s'excuse-t-il timidement d'avoir vouvoyé le spectre par habitude.

Il sourit doucement en l'entendant mentionner son père, et comme il prend bien soin de lui. L'Évoli au pelage rare à ses pied en est un témoignage. Celui-ci renifle l'air avec curiosité, tandis que Vania le prend dans ses bras pour essayer de se donner de la contenance.

Il fait de son mieux, répond l'adolescent d'un ton un peu mélancolique, ce n'est pas facile ces derniers temps...

Maman semble s'en vouloir de les avoir abandonné. Comme si elle pensait que sa présence aurait pu leur éviter de devenir des épaves émotionnelles. Peut-être que Vania aurait été moins instable s'il avait grandi avec sa mère biologique au lieu de se sentir arraché à l'orphelinat. Mais il sait bien que ces pensées tordues, cette voix malsaine qui lui murmure des horreurs, il est né avec un mourra avec. Avec toute la bonne volonté du monde, la jeune femme n'aurait pas pu lui épargner ce genre de tourmente.

Sentant l'atmosphère lourde et triste, elle finit par changer de sujet, abordant celui d'Agrippina et de Louison. Vania rougit, il sait très bien pourquoi elle lui demande de parler de son meilleur ami et pourquoi elle le compare à la petite amie de son père. Il est un peu soulagé de savoir que le spectre ne semble pas jaloux de l'albinos. Après tout, il y a de grandes chances pour que son mariage avec Igor ait été arrangé à l'époque. Ca n'a pas empêché le capitaine de pleurer sa femme, mais ses sentiments n'étaient peut-être pas les mêmes que ceux qu'il a pour la cadette Arseniev.

Vania hésite à répondre. Il joue avec ses cheveux d'une main tandis que l'autre caresse nerveusement Minuit.

Louison est... mon ami. C'est un peu compliqué mais... je lui ai promis de plus insister. Parce qu'on ne change pas le monde en étant un paria, qu'il dit... il soupire, c'est frustrant mais d'un autre côté, je sais qu'il peut y arriver... il en a pas l'air, mais il est si courageux, ambitieux et intelligent, je-

Il s'interrompt en constatant qu'il commence encore à jouer les groupies. Il pourrait donner des compliments à son "meilleur ami" pendant des heures et des heures. Ses joues sont roses d'embarras en constatant le sourire sur les lèvres fantomatiques de sa mère. Elle ne le juge pas. Elle se moque gentiment de son entrain. Quand bien même il ne la reverra plus, une part de lui se sent soudain légère à l'idée que la femme qui lui a donné naissance est si douce, si tolérante, et qu'elle ne l'aurait jamais renié pour aimer un autre garçon.

Agrippina... j'ai toujours eu du mal avec elle. Et maintenant qu'elle est devenue bizarre, je regrette un peu de pas avoir été plus gentil avec elle, mais bon... l'essentiel c'est que papa soit heureux.

Sa voix trahit son manque de sincérité. Il aurait parlé avec plus de conviction il y a quelques mois, mais il n'est vraiment plus sûr de si son père est heureux avec elle, de si leur relation est encore saine. Il fouinerait bien, s'il n'avait pas en tête le regard perçant de Louison, qui lui a répété plusieurs fois que ce genre de choses ne le regardait pas.
 

Une main glaciale et pourtant si chaude s'approche et vient lui caresser la joue.
Sans y réfléchir, Vania se laisse cajoler comme un petit enfant, profitant de cette chaleur qu'il n'avait pas conscience de vouloir au plus profond de lui. Il avait tellement envie d'être rassuré et que l'on prenne soin de lui comme une petite créature... il sourit en repensant à Louison, et au fait que sa mère semble apprécier ce qu'elle a entendu de lui. Il aimerait qu'elle lui dise que tout ira mieux un jour. Qu'il pourra vivre son amour avec le jeune garçon sans avoir peur du regard des autres... mais Vania constate que sa mère n'était pas une menteuse.

Elle reste sérieuse. Un peu grave, même. Le sujet d'Agrippina revient et ce qu'elle lui dit ne surprend pas vraiment Vania. Il ne sait pas si cette histoire d'âme brisée est une métaphore ou quelque chose de paranormal, mais il écoute, attentivement. Il est plutôt du genre sceptique et scientifique, mais difficile d'être cartésien alors que le spectre d'une femme morte depuis quinze ans lui parle.

Elle lui tend un objet étrange. A vue de nez, ce n'est qu'un vulgaire caillou, mais la lumière et la chaleur qui s'en dégagent font vite comprendre à l'adolescent que ce n'est ni une blague, ni une façon de parler. Cet... artefact est important. Vital, même. Il ne doute pas que quelque chose vit dans cette drôle de pierre, comme un œuf minuscule qui n'attend que d'éclore.
Sans compter qu'il sent son cœur gonfler de fierté de se faire confier une telle mission. Oui. Il rendra cette... chose à Agrippina. Qu'importe leurs différends ou son attitude inquiétante ces derniers temps. Il veut rendre sa mère fière, quand bien même il ne la connaît que depuis quelques instants... il a suffi de quelques touchers spectraux pour lui faire réaliser cet amour qui lui manque.

Je le ferai. Je le promets, affirme-t-il d'un ton si sérieux qu'il ne convient pas à un petit bonhomme comme lui.

Le vent souffle et hurle comme un Lougaroc. Avec lui, des fragments de l'illusion devant lui s'envolent, et tous deux comprennent que l'esprit de sa mère s'apprête à retourner parmi les étoiles. Une dernière promesse d'amour, une dernière caresse douce-amère et alors que les derniers grains de poussière se font emporter par le vent, Vania réussit à murmurer :

Merci, maman.

Une petite patte sur sa joue vient le rappeler à la réalité, lui qui fixait le vide depuis la disparition du spectre. Minuit semble inquiet pour lui... oh. Il a pleuré. Il ne s'en était même pas rendu compte.

Minuit... ce n'était pas un rêve, n'est-ce pas ?

L'Évoli fait non de la tête avant de venir se blottir contre son humain pour plus de réconfort. Un câlin qui permet à Vania de se remettre de tout ce qu'il a vu et entendu, avant de soupirer et reprendre son sac plastique qu'il avait lâché dans la surprise.

Dépêchons-nous de rentrer. Je suis fatigué...

"Fatigué" est un euphémisme. Le jeune garçon est totalement vidé de son énergie. Quelque chose qu'il attribue à cette rencontre impossible. Il ne fera sûrement même pas attention aux cris du surveillant, furieux qu'il rentre si tard et s'écroulera dans son lit sans plus de cérémonie. Il doit se reposer, de toute façon... pour mener à bien sa mission.

Ce petit caillou brillant dans sa main, c'est une promesse faite à sa mère et à Agrippina, il compte bien la remplir.