Now spell : DANGER

Jouer au scientifique, jouer au cobaye.

C’est à cela que se résume la vie de Viktor ces derniers jours… non, ces dernières semaines, ce dernier mois tout entier depuis la disparition des sujets prometteurs.

Personne n’a pu mettre la main sur 147 et 358. Ni sur Rem ou Feliks. Encore moins sur Hippolyte. A peine qu’ils avaient pu quitter les murs du bunker qui leur servait de laboratoire, ils avaient réussi à se volatiliser, sans la moindre trace. Rien du tout. C’était à croire qu’ils avaient disparu de la surface de la Terre !

Ou peut-être que l’on lui cachait des choses.

Derrière son bureau, Viktor fronce ses sourcils alors qu’il continue à observer la paperasse en désordre déposée sur le meuble. Lui qui était si pointilleux sur la propreté et l’ordre, voilà qu’il négligeait les bases même de qui il était. Depuis qu’il a reçu cette dose de sang des saints, qu’il avait un don, qu’on le voyait comme un être inférieur… La méfiance, la peur, la colère- toutes ces émotions qu’il évitait comme la peste de peur de devenir comme ces cobayes, ces sous-êtres… elles l’avaient attrapé et le torturaient non-stop.

Et si ils avaient des nouvelles de ceux qui avaient fui ? Qu’ils les avaient même rattrapés et qu’ils s’apprêtaient à reprendre le Projet Nebulak sans le lui dire, lui qui était plus proche des cobayes que des scientifiques à présent ? Ils ne le gardent uniquement dans leurs rangs parce qu’il est doué, qu’il est intelligent, et qu’il connaît par cœur tout ce qu’il y a à savoir sur ce projet- mais est-ce que cela pourrait garantir sa survie ?

Et si… et si Piotr n’avait plus besoin de lui, qu’allait-il lui arriver ?

Tout cela le dévore sans arrêt, et même si Viktor sait cacher ses expressions sur son visage marqué par l’accident sous forme d’une brûlure partiellement soignée… Quelqu’un finira par le découvrir bien vite.

La voix de cette odieuse petite Jodie, de 1013, ses fichus mots qu’elle lui a balancé à la gueule le jour fatidique- Viktor ne peut cesser de les entendre constamment, même dans ses rêves. Elle avait raison, même s’il refusait d’y croire. Elle avait raison, même s’il évitait de l’écouter.

Elle avait raison… et il ne pourrait rien y faire, même s’il le voulait plus que tout au monde.


Viktor sursaute de sa chaise et étouffe bien rapidement un cri de surprise et de peur lorsqu’une main vient frapper à la porte de son bureau. Il était pourtant si tard, et il n’attendait personne. Mais… Il n’avait pas le choix d’ignorer quiconque voulait le rencontrer- qui sait si c’était Piotr qui daignait venir le voir…

Pas le temps d’inviter la personne à rentrer, à poser des questions- la porte s’ouvre sans attendre et le responsable avance bien vite dans la pièce, d’un pas léger…

- … Afonya.

Le nouvel assistant de Viktor avait eu la bonté de porter un badge avec son nom pour aider son mentor à se rappeler de son identité- surtout qu’avec son cahier parfois hors de sa portée, il était plus simple de le reconnaître ainsi.

Afonya Isola. Le remplaçant d’Hippolyte, ce sujet de test, ce potentiel remplaçant en cas de malheur, gaspillé inutilement tout comme les moyens et le temps donné pour faire de lui une réussite. Viktor n’avait pas été idiot, cette fois ; quand il a pu recommencer son projet avec Afonya… l’amnésie, l’apprentissage, les sévices infligés pour le modeler à son image et devenir l’assistant et successeur parfait avaient été poussé au maximum possible. Le seul “défaut” dans cette histoire sont les passages ou le mentor doit devenir cobayes pendant quelques moments ; la seule personne qui pouvait se charger de l’apprenti lors de ces passages était Piotr lui-même.

Et depuis que celui-ci s’était mêlé à son expérience, Afonya était devenu… de plus en plus étrange. Un comportement plutôt excentrique, voire enfantin par moments- une façon de s’habiller ou de s’exprimer indigne du scientifique qu’il devrait être, aux yeux de son mentor…

Des petits défauts dérangeants ; et pourtant, malgré tout… Afonya était terriblement doué. Apprendre des meilleurs avait eu son effet, un qui avait impressionné le scientifique- s’il avait su, Viktor n’aurait jamais tenté de donner une chance à cet incapable d’Hippolyte, influençable au possible surtout avec des idiots comme Rem ou Feliks autour. Mais sans eux, Afonya a pu se développer presque parfaitement, malgré ses quelques défauts qui n'entachent cependant pas ses performances.

L’assistant était à présent devant lui et son bureau, ses pieds se levant et se rabaissant pour le faire pencher en avant et en arrière, comme un gamin heureux et joueur- un comportement qui continue d’irriter Viktor tant il n’est pas le bienvenue dans ces lieux, mais le mentor n’aura pas le temps de recadrer son apprenti.

- J’ai réussi, Viktor ~

Viktor ?

Même si l’assistant n’avait pas peur de marcher sur les limites de la moralité et du respect, jamais il ne l’avait appelé par son prénom auparavant. Jamais.

La sensation d’une anomalie hante vite le cœur du scientifique, qui n’arrive cette fois à cacher l’inquiétude sur son visage- une expression qui ne passe pas inaperçue sous les yeux ambres d’Afonya et qui ne fait qu'agrandir son sourire déjà grand.

- Ah, tu as déjà compris, pas vrai ? Mais bien sûr que tu as compris ! Tu es intelligent, assez pour avoir été mon mentor !

Un rire, alors que le scientifique se hâte d’analyser les paroles qui ont le poids d’une enclume écrasant ses poumons.

Du tutoiement, “avoir été” son mentor, donc du passé…

Avant même de pouvoir poser la moindre question, deux gardes font irruption dans le bureau, braquant Viktor de leurs deux armes à feu alors qu’Afonya ne fait que ricaner joyeusement de plus belle, comme si tout cela était un jeu-

Comme si voir son si cher mentor céder à la panique et la confusion était la blague la plus drôle au monde, alors qu’il se lève de sa chaise et commence à cracher sa colère et panique.

- Afonya ! Qu’est-ce que cela signifie ?!

Il le sait, il le sait- sa peur le lui hurle à la gueule, mais Viktor ne peut pas l’entendre- il refuse de l’accepter comme vérité !

Et pourtant, pourtant, Afonya soupire avec amusement et fait une moue qui ne durera pas longtemps, au fur et à mesure qu’il s’exprime enfin plus clairement.

- Allons, tu n’es pas fier de moi ? J’ai réussi ! J’ai réussi à faire ce que tu voulais de moi ; un humain avec ton intelligence, ton savoir-faire, tes connaissances… un successeur parfait à  tes expériences, si tu devais laisser ta place ! Tu t’en souviens, tout de même- c’est pour ça que je suis là, non ?

Les gardes approchent, Viktor recule d’un pas, de deux- mais le mur derrière lui le piège, et il se retrouve les mains en l’air sans lâcher Afonya de son regard furieux- Afonya qui ne peut retenir un énième rire en voyant son mentor dans un tel état !

- Ah là là ! J’aurais pensé que tu serais plus heureux en voyant une de tes expériences réussir. Dommage ! Autant aller droit au but, c’est ce que tu as toujours préféré, de toute façon.

Cette fois, c’est à l’assistant d’approcher, de glisser sa main dans l’une de ses poches- et d’y sortir une seringue au contenu transparent, de quoi ne pas rassurer Viktor.

Était-ce ça, la sensation que ressentait 147 lorsqu’il voyait une seringue… ?

- Ton projet de successeur est une réussite, Viktor ; tu as réussi à faire d’un ancien cobaye un scientifique capable de travailler sur le Projet Nebulak avec tes méthodes, ton savoir… mais en mieux sur tous les points. Un scientifique qui n’est pas tâché d’un don, lui.

En conséquence… tu n’es plus utile en tant que scientifique, Viktor ! Tu peux à présent profiter d’une fonction en tant que cobaye à temps plein- un cadeau de ce très cher Piotr ! ~

C’était son pire cauchemar- celui qui l’avait hanté des nuits et des nuits…

Et aujourd’hui, c’était Afonya qui lui annonçait la nouvelle, avec le sourire et la joie.

Viktor ne savait pas s’il voulait hurler, se battre, pleurer, fuir-

Alors Afonya prend la décision pour lui en lui injectant le somnifère d’un geste sec dans son bras, ne laissant pas le temps au scientifique… non, au cobaye de réagir ou de lutter.

Sous le choc et la panique, le poison fera bien vite le tour de son système, le laissant s’écrouler sans la possibilité de bouger, ne lui offrant que quelques derniers instants de lucidité avant que les gardes ne le traînent dans son nouveau “bureau”- dans sa cellule.

- N’aie donc crainte, Viktor- je n’ai pas oublié tout ce que tu as fait pour moi ! Avec un peu de travail ensemble…

Je suis sûr que je pourrais faire de toi un formidable cobaye et assistant ! Oooh… J’ai si hâte ! ~

Si les dieux ont pitié de lui, il ne se réveillera pas de ce cauchemar.

Mais pourquoi auraient-ils pitié de quelqu’un qui n’en a jamais eu pour les autres ?