notes

TW : Pensées suicidaires & Tentative de Suicide infantile

Lucrezia savait qu’elle n’avait pas vraiment sa place dans cette maison. Maman la déteste et Papa a peur d’elle. Elle ne sait pas pourquoi et ça lui fait mal.

C’était supportable jusqu’à ce que Madame Isabella, la vieille domestique, s’endorme pour ne jamais se réveiller. La gamine de cinq avait perdu la seule personne dont elle était sûre d’avoir l’affection. Mais surtout, du haut de ses cinq ans, elle avait peu à peu comprit l’importance de la morte, cette chose floue et un peu vague était devenue soudain très concrète, très effrayante…

… Et très tentante aussi.

Lucrezia ne savait pas vraiment comment fonctionnait la mort exactement mais peut-être que mourir ferait que ses parents l’aimeraient enfin, peut-être que son grand-frère accepterait enfin de lui donner la main quand ils marchaient au par cet que sa tante arrêterait de la regarder comme un Miamiasme. Tellement de pensées trop grandes pour sa petite tête d’enfant, ça la faisait beaucoup souffrir.

Elle avait abandonné ses coloriages pour venir serrer son doudou contre elle, imitant Maman en se couchant sur son lit sans bouger. Elle s’était toujours demandé pourquoi Maman faisait ça, est-ce que ça l’aidait à mieux réfléchir ? Elle ne savait pas trop. Pour elle, ça n’arrangeait rien et les larmes étaient rapidement venues.

Madame Isabella lui manquait horriblement.

Puis elle avait jeté un regard vers la fenêtre pour voir si il faisait assez beau pour jouer dehors et oublier ce manoir tout triste. Mais ses yeux n’avaient pas vu les nuages gris et tristes dans le ciel, ils avaient vu le vide. Et une horrible pensée était entrée dans son esprit. Une pensée qu’une enfant ne devrait pas avoir.

Et si elle sautait ?

Peut-être qu’elle allait mourir si elle le faisait, oui. Peut-être que tout s’arrangerait. Elle n’était pas assez grande pour se dire que tout irait mieux sans elle et peut-être même que si elle avait pu, elle aurait refusé d’y penser. Elle voulait avoir un peu d’amour et de bonheur, elle-aussi. Ce n’était qu’une gamine, après tout.

La chambre de Lucrezia était située au deuxième étage, c’était haut et ça faisait peur. Elle avait toujours eu le vertige, une vraie peureuse, pas comme son Ranger de grand frère. Mais cette fois, elle pensait pouvoir affronter le vide et même venir à sa rencontre. Ouvrir la fenêtre avait été dur, sans doute parce qu’elle avait été faite de telle façon pour qu’un enfant ne puisse pas l’ouvrir si facilement. Lucrezia avait tiré tellement fort que le verrou était surement cassé.

Ce serait un problème pour plus tard, un problème pour quand elle serait morte.

On ne gronde pas les morts, on est triste pour eux.

Lucrezia aussi voulait qu’on soit triste pour elle, qu’on ressente autre chose que de la haine et de la crainte à son encontre. C’était la solution miracle à ses yeux, alors elle n’y réfléchit pas deux fois avant d’enjamber le rebord de la fenêtre et de s’élancer dans le vide en fermant les yeux très fort, ne sachant pas trop à quoi s’attendre.

Ça avait fait mal, très mal. Son corps, ses bras, ses jambes, tout faisait mal et elle n’était surement pas morte. Alors comme tout enfant normal, elle s’était mise à chouiner et à crier, incapable de parler tellement elle souffrait. C’est Anima qui l’avait trouvé la première et si Anima l’avait vu, alors Maman savait.

C’était une catastrophe, une panique suffisante pour que la petite essaye de se relever, tout ça pour pousser un cri de douleur plus terrible que les précédents et fondre dans un sanglot incontrôlable.

« Lucrezia ! » Maman avait crié très fort aussi, comme si ça lui faisait mal à sa façon.

Elle avait fermé les yeux très fort pour ne pas voir Maman en colère ou encore pire, en train de pleurer. Elle était sûre qu’avec ça, Maman la détesterait encore plus qu’avant. Mais la sensation étrange d’une caresse sur la tête manqua de la faire sursauter.

« Ne bouges pas… »

Une voix très gentille auquel la gamine obéit sans se poser de question, tout ça pour se prendre un bisou sur son front tout cracra et couvert de sang. Maman avait prit sa main et lui avait dit de bien serrer les dents, que ça allait faire mal mais que tout irait mieux après. Elle avait utilisé « sa magie » pour réparer son corps tout cassé.

Encore toute couverte de boue et de sang, la petite brune allait se relever pour s’enfuir, se cacher derrière les arbres et y rester jusqu’au tombé du jour. Mais Maman était venu la serrer dans ses bras, un câlin tout doux que Lucrezia ne comprenait pas. Elle aurait voulu lui demander pourquoi elle faisait ça mais elle ne pouvait pas.

Elle avait cinq ans et n’avait jamais pu prononcer un mot pour une raison que tout le monde ignorait – ou connaissait sans oser la prononcer.

« Ma pauvre Lulu… Qu’as-tu fais ? Oh, par Arkæ, ne me dis pas que tu as… »

Maman n’était pas idiote, elle savait qu’il fallait de la force pour ouvrir les fenêtres de l’étage et qu’il fallait vraiment y aller pour « tomber par accident ». C’était une idée stupide en y repensant, tellement flagrant, elle allait se faire gronder comme jamais.

Mais Maman était resté silencieuse un bon moment avant de la serrer un peu plus contre elle.

« Je suis désolée, Maman ne va vraiment pas bien mais ça ne veut pas dire qu’elle ne t’aime pas… » Est-ce qu’elle pleurait ? En tous cas, ça ressemblait beaucoup à des sanglots. « Viens, nous devons rentrer et… Il faut parler de ton ça à ton père. »

« Huhum ! » Avait gémit la gamine en essayant de se débattre et de secouer la tête pour dire « non-non ».

Maman avait soupiré et était venu chercher sa belle barrette de cheveux, celle avec une belle rose rouge dessus. Puis elle l’avait enfilé dans la chevelure brune de Lucrezia qui la regardait maintenant curieusement.

« Je serais là pour toi, je serais toujours là pour toi… Cette rose, c’est ma promesse. Je ne suis pas en colère, je te le promets. Et Papa ne le sera pas non-plus… Alors s’il-te-plaît, laisses-nous t’aider… »

Lucrezia osa enfin lever la tête vers sa mère, son beau maquillage avait coulé et sa belle robe de princesse était tout en désordre, tâchée de boue et de sang en serrant sa fille contre elle. Pourtant, elle essayait de sourire et de vouloir être courageuse pour sa fille, la petite pouvait le sentir.

C’était la première fois qu’elle sentait aussi clairement les émotions de sa Maman. Ce n’était pas de la haine comme elle avait cru. Si elle avait été un peu plus grande, elle aurait pu trouvé un terme pour nommer ce sentiment : « culpabilité ».

Mais il y avait aussi de l’amour, beaucoup d’amour.

Maman l’aimait. Pendant tout ce temps, elle l’avait toujours aimé sans oser lui dire. Au point d’avoir frôler la catastrophe. Est-ce que c’était pareils pour Papa ? Pour Grand-Frère et Tata ?

Elle ne savait pas mais pour l’instant, elle se sentait fatiguée, très fatiguée. Sans doute parce que son corps s’était réparé trop vite. Et alors qu’elle s’assoupit, elle prononça ses premiers mots, quatre ans en retard.

« Merci, Maman… »

Maman trembla et resserra son étreinte. Cette fois, Lucrezia était quasiment sûre qu’elle pleurait très fort. Mais elle était aussi sûre d’être aimé et cela lui faisait beaucoup de bien.

Une part d’elle, cependant, ne pouvait s’empêcher de se demander à quel point elle aurait rendu Maman et Papa malheureux si elle était bel et bien morte en tombant. Mais encore une fois, son cerveau trop petit pour cette pensée passa rapidement à autre chose, ce serait une pensée qui reviendrait plus tard et qui la hanterait sans doute un bon moment.

Mais pour l’instant, elle était dans les bras de Maman et tout allait bien.