Le respect est mort ce soir

Solo Event

« Ma vie c’est de la merde. »

Oktyabrin ne devait pas vraiment penser très droit vu le nombre de shot de vodka qu’il s’était enfilé. Igor comprenait à peu prêt qu’une suite d’évènements lamentables s’étaient passés pendant le jour de cette Marche des Fiertés mais c’était à peu prêt tout ce qu’il y avait de cohérent dans le dialogue de son ami.

A chaque chagrin d’amour, c’était la même chose, il le retrouvait en PLS à boire comme un trou et à maudire Arkæ de l’avoir fait homosexuel et malchanceux en amour. Et à chaque fois, Igor l’écoutait patiemment venir étaler ses malheurs dans son bureau, chialant comme un gosse de trois ans qui aurait fait tomber sa glace par terre.

Qu’on soit clair : Oktyabrin est une personne bien et les chagrins d’amour, c’est dur, mais quand c’est la quatre-vingt-quinzième fois que ça arrive, on finit par s’en battre un peu les couilles et lever les yeux au ciel. Il jette un coup d’œil dehors d’un air morne en écoutant à moitié le Ministre qui se met à parler de… (attends, il parle de cul, là ? Diversion…) et se lève d’un coup en soupirant.

« Oktyabrin, il est tard. Je dois rentrer. » Soupire-t-il pour s’épargner des détails grivois sur la vie sexuelle de son pote. « Mon fils m’attends sans doute et j’ai beaucoup trop tardé pour-… »

« Ouais bah fait pas chier, t’as un môme, toi, au moins… » Râle l’alcoolique en lui jetant un regard des plus dédaigneux. « Un vrai bien à toi, hein… »

Inspiration, expiration.

Ne pas le frapper, ne pas le frapper, ne pas le frapper…

« Bon, j’imagine que je te ramène chez toi, hein ? On va éviter que la Tsarine te trouve dans cet état sinon, elle va te buter pour de bon je pense. »

Bon, il risque peut-être de le faire avant mais c’est un détail qu’il ne précise pas quand il tends la main à son ami pour qu’il se mette – avec toute la difficulté du monde – sur ses deux jambes et l’escorter en dehors du palais à l’abri des regards trop curieux. D’après ce qu’il a cru comprendre, Dekabrina avait déjà quitté le Palais Pourpre donc pas la peine d’aller la chercher. Le Capitaine se sentait tout de même un peu mal pour la gamine qui allait devoir supporter ce con toute la soirée.

« Fais-moi plaisir, Oktyabrin. Evite de traiter ta fille comme une pièce rapportée. » Soupire-t-il, ne sachant pas trop si le concerné comprendra. « Elle doit être aussi importante pour toi que Vania l’est pour moi. »

« T’es psychiatre ou t’es un vieux sage Septentrien ? » réponds l’abruti du tac au tac.

Il va finir par s’en prendre une…

« Ni l’un ni l’autre, j’essayes de t’aider, tu sais, ce qu’un ami est censé faire en général. »

Un grand silence s’en suit, uniquement perturbé par le bruit de leurs pas tandis qu’Igor soutient fermement Oktyabrin pour le maintenir debout. Le silence est agréable, si seulement il pouvait fermer sa gueule jusqu’à dégriser complètement, ce serait une bénédiction.

Trop beau pour être vrai, hein…

« Hé, Igor… » Souffle l’autre con d’un air étrangement pensif.  « Ça te dit, ce soir, on baise ? »

…

…Quoi ?

« Non. »

Oktyabrin lui lance un regard bizarre, du genre taquin mais désespéré, je genre de truc que seul lui sait faire – quand il est bourré et qu’il a un chagrin d’amour.

« Alleeez, j’te laisserais me-… »

« Par pitié, Oktyabrin, ferme ta gueule ou je te jure devant Arkæ que je t’explose la tête contre un mur. »

L’alcoolo soupire lourdement et fait une moue boudeuse, lâchant même quelques jurons au passage. Mais quelle plaie ce mec, une fois bourré il est vraiment insupportable. Heureusement qu’il ne boit que quand il a le cœur brisé – ou malheureusement parce qu’il a souvent le cœur brisé.

« D’accooooords, Monsieur l’hétérosexuel. »

« Tu dis ça comme si il s’agissait d’une insulte. » Soupire Igor en levant les yeux au ciel pour la… trentième-troisième fois de la soirée peut-être.

« Les hétéros sont chiants. » Réplique Oktyabrin. « Comme toi. »

« Bon, ok, la prochaine voiture qui passe, je te pousse dessous. »

« Très hétérosexuel de ta part. »

Mais putain, tuez-le…

Igor se jure qu’il lui refoutra dans la gueule juste pour se venger de toutes ces conneries. Surtout le passage sur la proposition de baise, il veut voir la honte dans les yeux d’Oktyabrin et se délecter de ses excuses. Sur son visage, ça se traduit par un air blasé – plus que d’habitude, c’est dire…

Enfin, ça le soulage de voir le domicile de son ami pointer le bout de son nez à l’autre bout de la rue. Trainer un alcoolo dans des ruelles sombres pour échapper aux regards indiscrets, c’est pas spécialement la passion de sa vie. Heureusement, comme tout ministre qui se respecte, Oktyabrin possède des domestiques – il n’assume pas. Et heureusement que le majordome se pointe vite quand Igor grommelle à l’interphone que son patron est sur le point de dégueuler sur le bitume.

« Oh, Saint Arkæ, Monsieur Fyodorovitch ! »

Igor laisse avec grand soulagement l’honneur au majordome de porter l’autre con et lui lance un dernier regard rempli de pitié - ou de mépris, il est pas trop sûr.

« Bon, au revoir, hein. A demain, essaye de dégriser jusqu’à là car j’en ai marre de t’entendre parler du cul de Beliaïev. »

« Salope. »

Haussement de sourcils.

« Plaît-il ? »

Grand silence, le majordome a l’air très embarrassé et Oktyabrin parait trop bourré pour pour répéter. Bon, Igor imagine que l’aventure – très pénible – s’arrête là. Déjà que son fils lui fera surement la gueule en revenant. Il soupire à cette idée et tourne les talons, lâchant un « Au revoir » très solennel au majordome.

Promis, demain, il lui en mettra plein la gueule à Monsieur le Ministre de l’Intérieur.

Et ce sera bien fait pour sa gueule.