Comparer toutes les fleurs des Jardins du Palais Pourpre à ses émotions tourmentées était le thème du poème du jour pour Nonna. Elle écrivait en silence aux cotés de sa chère amie Liza, la fille de la fameuse Comtesse de Paldea qui lui courait après. En comparaison, sa fille était bien plus calme, bien plus gentille et bien plus supportable. Isabella était gentille mais ses taquineries blessaient parfois Nonna qui avait du mal à savoir si il s’agissait de premier ou de second degré, la compagnie de sa fille était plus paisible au moins. Puis elles avaient une passion commune pour l’écriture.

Pensive, la jeune femme avait enroulé une de ses longues mèches blonde platine autour de son doigt et tapoter sa plume sur ses lèvres. Et oui, elle écrivait à la plume et à l’encre, à l’ancienne, cela l’aidait bizarrement dans sa besogne. Elle écoute distraitement le petit « chant » de Liza sans parvenir à trouver ce qu’il manque à son poème. Alors lorsque la jeune fille l’interpelle silencieusement pour lui demander conseil, Nonna esquisse un sourire et saisit délicatement la feuille de papier pour y lire la belle écriture de Liza. Tapotant sa plume contre ses lèvres une nouvelle fois, elle finit par donner son verdict.

« Ton texte est beau, très beau même, mais il manque quelque chose. Peut-être devrais-tu utiliser des mots moins soutenus pour mieux saisir aux tripes. Peut-être pas au point d’utiliser du vocabulaire familier mais l’effleurer parfois sans jamais en user. » Elle rends le papier dans un geste doux à son amie et lui esquisse un sourire désolé. « Je suis désolée de mon manque d’utilité du jour, je peine moi aussi à trouver mes mots. »

En réalité, elle bloque sans doute car son poème commence à aborder des sujets bien douloureux. Comparer les roses à l’illusion d’un amour conjugal, les marguerites à celle d’un amour familial inexistant et les fleurs de lys à son innocence souillée, c’est beau mais ça fait mal. Ça lui rappelle la brutalité de son mari et l’absence de soutien extérieur, chaque jour était un combat qu’elle perdait, chaque défaite avait la même conséquence : se livrer à lui pour une nuit dans l’espoir d’enfanter un mâle.

Plongée dans ses pensées sombres, elle en oublierait presque la présence de Liza. Elle secoue la tête et essuie ses yeux larmoyants. Son rôle c’est d’aider les autres, pas de montrer sa propre souffrance, il faut qu’elle se reprenne ! Alors avec un petit sourire, elle finit par ajouter une simple phrase un peu timide.

« En tous cas, j’aime beaucoup le thème de ta chanson du jour. »

Le thème du jour semblait être les tourments de la mélancolie. Nonna et Liza avaient en commun le fait de ne jamais présenter l’amour comme une chose positive. C’était la plupart du temps répugnant et blessant pour Liza, inexistant et illusoire pour Nonna. Les deux femmes ne communiquaient jamais sur la raison de leur vision des choses mais Nonna ne pouvait qu’imaginer le pire. Un « pire » jamais très concret par désir de ne pas l’être.

« Pourrais-tu m’aider à ton tour, s’il-te-plaît ? » Finit-elle par demander timidement à son amie qui hoche la tête doucement avec un petit sourire aux lèvres. « J’essayes d’utiliser le langage des fleurs, dis-moi si cela ne fait pas trop maladroit, je t’en prie. »

Si il y a bien quelque chose que Nonna craignait, c’était de tomber dans le pathos ou dans la complexité inutile. Alors quand elle murmure son poème avec sa douceur habituelle, elle ne s’attends pas vraiment à voir la pauvre Liza toute pâle lorsqu’elle relève la tête. Elle sent un pique de panique la saisir, le sentiment d’avoir fait une bêtise impardonnable la saisit à nouveau et elle finit par bredouiller après une long silence lourd.

« Ai-je… Ai-je dis quelque chose qu’il ne fallait pas ? » Voyant que son amie semble retenir ses larmes, elle s’affole de plus en plus. « Oh, je t’en prie, oublie ce stupide poème. Je ne voulais pas te bouleverser, Liza, peux-tu me pardonner ? J’ai… J’ai toujours été maladroite pour m’exprimer, je ne pensais pas que mes écrits reflèteraient un jour ma maladresse. Je suis vraiment désolée… »

Elle baisse les yeux, honteuse, serrant, presque chiffonnant ce fichu poème qui a blessé son amie sans qu’elle sache pourquoi. Elle commence à craindre que la jeune fille n’ait plus en commun avec elle qu’elle ne le pense et cette pensée la chagrine horriblement. Liza est si jeune, les jeunes filles ne méritent pas de souffrir ainsi.

Nonna souhaiterait honnêtement avoir souffert pour toutes ses semblables, tel Arkæ sacrifiant son humanité pour racheter les péchés de l’humanité. Alors ne serait-ce qu’imaginer que Liza est passée par la suffit à lui faire monter les larmes aux yeux. Elle finit par soupirer tristement en murmurant faiblement quelques paroles.

« J’ai fais une nouvelle bêtise, n’est-ce pas ? »

Ce ne serait que la suite d’une longue liste, après tout.