Taunt me if you can

Artyom- ou 147, plutôt, avait enfin été amené dans la salle d’expériences. Même avec le paralysant, dès lors que les effets avaient commencer à se dissiper, le militaire avait montré beaucoup de force et de détermination pour lutter contre eux, contre l’inévitable ; mais ça n’avait pas suffit. Il avait été attaché de force sur la table, les produits et autres outils de torture prêt à être manipulés pour le briser, le faire plier… Hippolyte n’avait eu aucun mal à faire ce qu’on lui demandait- le maitriser, l'attacher, et préparer le reste.

Oh, il n’allait pas oublier de sitôt le sauvetage fait en urgence pour éviter à Viktor de crever entre les mains de son cobaye- un bon rappel que la moindre faiblesse, la moindre erreur, et la mort serait prêt à les avoir, eux aussi. Comme le bon assistant qu’il est, il avait vérifié les sangles à plusieurs reprises, les avaient presque trop serrés pour le confort du cobaye attaché- mais il ne laisserait pas son mentor être de nouveau en danger.

“... Hippolyte. Tu es trop tendu pour ce qui va suivre. Va te charger de nettoyer la cellule de 147 et 358 ; assure-toi que tout soit en ordre et que son siège soit prêt à l’accueillir comme il se doit, veux-tu ? Et vérifie aussi que 358 ne fasse pas de bêtises.”

Une petite demande, mais un ordre clair et net pour l'assistant. Viktor allait sûrement se venger de l’affront d’Artyom et de sa tentative de rébellion avec le plus de violence et d’horreur qu’il puisse infliger sur le moment, et il avait décidé d’offrir à celui qui l’avait sauvé un moment de répit de cette horreur sous forme d’une autre tâche. Pas que ça le dérange… il avait mal aux oreilles à force d’avoir entendu 358 crier en boucle. Entendre ceux de 147 de loin sera plus confortable. Ne pas avoir à subir les luttes désespérées du militaire lui convenait aussi- et avec Viktor… il serait trop occupé à se venger de toutes les façons possibles pour faire autre chose.

A peine avait-il traversé la porte, jetant avant un dernier regard sur Rem et Feliks qui allaient devoir subir tout ça, seuls, sous les ordres de Piotr et Viktor alors que 147 leur jette un regard noir… La porte claque. Les cris avaient commencé- des cris étouffés, des cris qu’on essaie de retenir- mais le militaire n’était qu’un cobaye, un humain, et il ne pouvait pas cacher ce qui le rendait “vivant”. Ses cris se répandent bien vite dans les couloirs, comme prévu.

Des cris qui n’arrivent à tirer aucune pitié, aucune réaction de l’assistant qui s’éloigne- Viktor lui apprenait bien les choses, à ne pas céder aux émotions, à ne pas les écouter- et les médicaments qu'il lui donnait aidaient là-dessus. Tout cela… tout cela n’était que des étapes pour être complètement guéri de ce qui le ronge- et de retrouver sa vie d’avant, celle d’un scientifique prometteur et efficace qui travaillerait sur les projets de son mentor sans faillir.

Mais pour l’instant, il avait autre chose à faire : s’occuper de nettoyer cette cellule, tant qu’elle était tranquille- enfin, presque.

Hippolyte n’annonce même pas son arrivée, ne prévient personne- il arrive, entre dans la cellule avec un chariot pour nettoyer les lieux couvert de sang, de larmes, de liquides quelconque qui ne devaient pas rester là… Bien qu’un instant, il s’arrête pour poser ses yeux ambrés sur la figure de 358, allongée sur le banc et dos à lui, en silence. Dormait-elle ? Peut-être, peut-être pas ; de toute façon, avec ce qui lui était arrivé et vu son état physique… Hippolyte ne craignait pas pour sa peau. Il était plus costaud que Viktor et la demoiselle n’était clairement pas au niveau d’Artyom, niveau physique et mental.

Bien vite, son attention la quitte pour revenir sur son travail bien plus calme que celui que ses collègues menaient : Hippolyte se met silencieusement au travail, comptant bien faire cela le plus proprement mais vite possible histoire de voir s’il ne pourrait pas garder un peu de temps pour se reposer dans son coin, ensuite.

Taunt me if you can

Il semblerait que la “poupée” comme l’avait surnommé Piotr soit plus éveillée qu’Hippolyte le pensait. C’est un petit rire qui le tire une seconde de ses pensées, de son travail- mais il s’y remet bien vite. La réaction de la cobaye faisait du “sens” dans son état, après tout ce qui lui avait été administré, et il ne fallait pas se laisser être perturber par tout cela. Pas quand on est un bon scientifique comme lui, à l’époque.

Malheureusement, alors qu’il termine doucement de nettoyer le sol des liquides sales qui le tachaient… voilà que 358 se met à parler, à dire des mots bien provocants et vexants pour n’importe qui : mais Hippolyte est loin d’être un abruti, malgré son air peu émotif. Oh, il sait que c’est pour attirer son attention, voir ses réactions… mais difficile d’en avoir lorsque l’on est tout autant shooté aux médocs. Et honnêtement ? Si il se laissait faire, il perdrait son temps, il trainerait sur son boulot, et Viktor n’aurait aucune hésitation à le punir pour ; vraiment, Hippolyte n’était pas d’humeur à tester la patience de son mentor, surtout après ce qui s’est passé.

Ce qui s’est passé… il en avait enfin fini de nettoyer les traces de ce conflit- en tout cas, les traces physiques. Le reste, ça restera gravé dans les mémoires de ceux présents dans l’instant. Il faut d’ailleurs vérifier et réparer la chaise après le bazar de 147, de quoi tirer un petit soupir ennuyé- par la tâche ou par les mots de 358, ça… peut-être les deux, en y réfléchissant un peu. Mais bon, quitte à être ennuyé de la sorte…

- Je ne me souviens jamais de mon matricule. Les chiffres comme identification, c’est pas mon truc, contrairement à mes supérieurs.

Un haussement d’épaules- et aussitôt, il se remet à la tâche, vérifiant les sangles- et récupérant de son chariot un tournevis pour fixer les vis qui s’étaient affaiblies, sûrement avec le manque d’entretien et d’attention des autres personnes passées ici avant.

- Un traitement de faveur, huh… personne n’en a, ici. On fait juste notre boulot si on veut tenir, c’est tout. Si je suis sous l’aile de Kholodov, c’est uniquement car les scientifiques ont besoin que je retrouve mes habitudes de travail avant mon amnésie et que je reprenne le boulot comme il se doit au plus vite. Rien de plus.

Redevenir le bon scientifique qui travaillait aux côtés de Kholodov avec efficacité, flegme… avec perfection. C’était comme ça qu’il le décrivait, avant son amnésie- et c’était ce qu’Hippolyte cherchait à devenir, pour le remercier de lui avoir sauvé la vie et de continuer à l’aider. Même s’il est un mentor strict et parfois cruel, il savait s’y prendre et Hippolyte le respectait énormément.

Mais voilà que le sujet change, qu’il tourne à présent autour de Rem. Un étrange gars- tellement bizarre que même Hippolyte avait du mal à le cerner… enfin, plutôt cerner ce qu’il pensait vraiment de lui. Quelque chose lui échappait : c’était juste un énième scientifique sous les ordres de Demikhov, un qui se fait salement emmerder par lui ou par Kholodov- mais va savoir pourquoi, il y avait quelque chose qui le rendait… différent des autres. Et ça, c’est quelque chose qui emmerde Hippolyte : ne pas comprendre ce qui créait cette différence. C’était comme si ses amnésies avaient ôté un savoir important- ou une émotion importante qu’il ressentait envers lui, quelque chose qui l’empêche de comprendre.

Hippolyte essaie de se taire. De rester concentrer, de ne pas laisser les paroles du cobaye le perturber- mais la frustration qui règne dans son esprit ne fait que grandir lorsque la demoiselle pose le doigt sur des endroits sensibles, ou qui font même un peu mal à l’amnésique. Heureusement qu’il sait être calme, ou le tournevis aurait peut-être fini dans la gorge de la bavarde.

Non, à la place, il finit reposé à sa place, alors que le scientifique termine de nettoyer et de vérifier que tout était bien en place et en ordre sur cette chaise, changeant d’avance la perfusion et le tube qui prendra la relève de celle détruite par 147. Enfin… si l’autre pouvait la fermer avant- parce qu’il est difficile de sérieusement se concentrer avec cette femme qui ne sait jamais quand il faut la fermer.

Un énième soupir- mais cette fois, Hippolyte arrête. Ses gestes cessent enfin de trifouiller la chaise de torture pour regarder 358 avec un air las, fatigué, presque irrité si l’on plisse les yeux et que l’on ignore ces grosses cernes sous ses yeux ambre…

- J’ignore pourquoi il est comme ça. Quelque chose m’échappe à son sujet. Il ne m’apprécie pas, je le sais- il n’apprécie pas les gens qui obéissent sans broncher à Kholodov et Demikhov. Ce n’est pas mon problème tant que ça ne m’impacte pas. Mais apparemment, ça doit l’amuser, de se sacrifier pour les autres.

Il n’a rien à gagner à me défendre. De toute façon… les mots ne sont que des mots. Ce n’est pas ça qui peut me blesser. Et si je me plante, je suis capable de faire face aux conséquences moi-même. Enfin, ce n’est pas comme si cela changera… si je veux éviter de retomber malade, il faut que je prenne ce que l’on me donne. Même si cela fout en l’air mes émotions. Mieux vaut ne plus en avoir que de perdre la vie tout court.

Il pousse un petit rire, même pas amusé, au fond… tout cela, c’est plus fatiguant qu’autre chose à comprendre- mais bon, si Agrippina est tout autant défoncée avec ces médocs qui jouent sur les émotions, elle devrait piger tout autant que lui.

Taunt me if you can

Que de paroles, que de provocations inutiles qui ne tirent aucune réaction de la part d’Hippolyte- peut-être de l’ennui, à la limite. Après tout, quand on doit se concentrer sur une tâche, le plus simple est de le faire dans un environnement adapté pour ne plus être distrait… et la présence d’Agrippina ne faisait absolument rien pour l’aider à rester attentif à son travail, pour le coup.

Incapable de la fermer, toujours à parler sur le même ton, sur les mêmes paroles, comme un disque rayé. Une vraie plaie- ses cris étaient presque plus intéressants, à ce niveau-là. Alors pourquoi continue-t-il de lui répondre ? Peut-être parce qu’il s’ennuie et qu’il essaie de voir s’il peut pas entendre autre chose de ce disque cassé. Ou qu’il essaie de résister à l’appel de dire une connerie et de “blesser” le cobaye, même si elle avait l’air tenace et qu’elle méritait de se faire remettre à sa place.

- Je me fiche d’être remplacé. Je fais ce qu’on me demande et c’est tout. Point.

A vrai dire, il n’y avait pas pensé- et il n’avait pas envie non plus. Ça risquait de faire sortir des émotions et Hippolyte n’en avait pas envie. Ni le temps d’ailleurs, il avait une chaise et une perfusion à réparer et remplacer. Autant dire qu’il laisse les mots de 358 passer au-dessus de sa tête sans répondre pour éviter de lui offrir l’attention qu’elle semble chercher.

Enfin, c’était le plan, mais avec l’ennui, les cris de 147 au fond… difficile de ne pas vouloir participer un peu à la discussion bizarre qu’on lui offre.Il a beau se concentrer, à la fin, ses yeux reviennent inévitablement se reposer sur la forme de la poupée cassée, comme si essayer de fuir la discussion était inutile.

- Kholodov a plus important à faire que de me triturer le cerveau, sauf pour me sauver la mise lorsque je subis un AVC. Mais si vous étiez capable de réfléchir un peu plus, peut-être que vous l’auriez remarqué avec votre présence ici, ou celle de votre “camarade” qui hurle à l’heure actuelle.

Vous avez l’air terriblement concernée par ce que pense Tesla à mon sujet, néanmoins- plus que pour l’avenir de votre ami en ce moment-même. Et dire qu’il s’inquiète terriblement pour vous, alors que c’est lui qui est en danger, en ce moment même… Mais j’imagine que c’est plus simple pour vous de vous attaquer aux autres et de ne pas faire attention à vos propres problèmes pour les éviter. Ma faute de vous avoir surestimé, vraiment. Je ferais en tout cas part à ce cher Rem de votre étrange obsession pour son comportement envers moi, peut-être que ça l’amusera. Qui sait.

Un sourire, un petit rire- on voit de qui Hippolyte tient sa façon de parler et d’insulter. Il en avait fini avec la chaise de toute façon, il ne restait plus grand chose à part vérifier si 358 se porte bien. Et pour ça… il approche la demoiselle, commence à observer son corps, ses blessures, ses marques- bref, l’amnésique s’assure qu’on ne lui cache rien d’inquiétant, alors que celle-ci se met à raconter une drôle d’histoire, mais qui malheureusement, ne l’intéresse guère.

- Que de paroles, venant d’une poupée brisée. Heureusement que vous avez votre utilité dans les plans de Kholodov et Demikhov… va savoir à quoi vous auriez servi, sinon.  C’est un peu triste, de ne pas savoir quelle est sa place. Je me demande vraiment ce qui vous pousse autant à essayer de me tirer des réactions, à part l’ennui. Malheureusement pour vous, je ne suis pas friand de jouer avec des poupées, contrairement à mes supérieurs. Mais je pourrais leur demander de vous trouver une utilité lorsqu’ils ne sont pas disponibles pour vous.

Oh, oui… Je suis sûr qu’il y a des gens ici encore plus désespérés ou fous pour savoir quoi faire d’un jouet cassé comme vous.

Un petit rire s’échappe de ses lèvres alors qu’il retourne enfin à son chariot, réarrangeant son bazar- elle avait l’air en bonne santé de ce qu’il voyait, alors… Hippolyte n’allait sûrement pas tarder à partir, à moins que 358 réussisse à trouver quelque chose qui l’interesserait.

Taunt me if you can

Tout du long, il reste silencieux, de nouveau avec un air blasé quand il voit que la demoiselle parle encore et encore, sans vraiment faire de sens à ses yeux. Elle pensait à un mot particulier pour le sort qu’il voulait lui faire subir- peut-être, oui, mais Hippolyte avait plus en tête des gens qui voudraient la torturer encore plus pour son don, pour l’observer, pour en trouver une meilleur utilité en lui ôtant toute forme de volonté, d’envie de se montrer forte en jouant avec des mots- comme son mentor lui faisait déjà avec le projet Nebulak, mais de façon plus extrême et moins limité par les ordres qu’il a. Mais il n’allait pas le lui préciser, pas qu’il en ait l’envie ou l’occasion.

Il finit subitement poussé hors de la cellule contre son chariot- de quoi juste lui tirer un “ah” à peine surpris ou choqué par le geste, reprenant bien vite ses deux pieds sur terre alors qu’il observe Agrippina retourner à sa place.

…

- 358 semble en forme, c’est tout ce que je voulais savoir.

Un énième haussement d’épaule avec un petit sourire satisfait- et voilà qu’il fait refermer la porte de la cellule, une fois la conversation terminée. Les rumeurs sur lui ? Il n’était pas au courant- il s’en fiche, au fond. Hippolyte n’est qu’un pantin de Kholodov, il le sait, mais ça lui convient. Il aime être à sa place.

…

Tout de même…

Pourquoi est-ce que Rem semble autant s'intéresser à lui ? A le défendre dans son dos, à même essayer de couvrir ses erreurs… ? Et pourquoi l’amnésique ne pouvait s’empêcher de le trouver différent des autres ?

…

- … Reprends-toi, Hippolyte…

Il murmure, secoue vivement sa tête, alors qu’il se rend compte qu’il n’avait même pas quitté le devant de la cellule pendant que ces pensées intrusives l’avaient eu ; heureusement que Viktor ne l’avait pas vu comme ça. Il faut se dépêcher de ranger tout ça à sa place et de prendre du repos, qu’il se dit- la fatigue le rend complètement déstabilisé à la moindre pensée.