Drowning in despair

Ils n’étaient là que depuis peu, très peu. Et pourtant… pourtant, c’était déjà un cauchemar.

Artyom avait réussi la dernière fois à s’enfuir bien vite après sa capture ; mais Piotr et Kholodov avaient mis bien plus de moyens pour ne pas lui offrir la chance d’une fuite. Il se souvient, de son “réveil”- déjà attaché à une chaise, avec ces foutus liens en acier, et une perfusion de calmants déjà installée et empoisonnant son sang et ses sens. Il se souvient, du visage de Kholodov qui s’était approché pour se moquer de lui- qu’il n’avait pas oublié la balle qui lui avait offerte avec son départ des laboratoires, la dernière fois.

Artyom regrette de ne pas avoir vérifié qu’ils étaient tous morts avant de partir.

Ce qu’ils allaient faire d’eux ? Il n’en avait pas la moindre idée. Il avait du mal à réfléchir, à organiser ses pensées avec ces médicaments qui brouillaient sa tête et rendaient la moindre réflexion difficile à garder sans en savoir la tête qui tourne. Ça le calmait, sans pour autant lui offrir le sommeil- une chose qui le terrifiait au fond.

Sans sommeil réparateur, le don de Summer deviendrait inutile. Le sien reviendrait de plus belle.

Peut-être qu’ils avaient déjà compris que le militaire puisait dans ce qui lui restait d’énergie pour empêcher son don de le faire souffrir, de se manifester contre son gré.

Cela expliquerait pourquoi ils avaient choisi d’utiliser en premier Agrippina pour leurs expériences, aujourd’hui. Sa protection faiblissait, et chaque cri de sa camarade faisant écho dans les couloirs jusqu’ici le faisait gémir faiblement de douleur et de peine, écaillant doucement mais sûrement sa résistance.

Il ne faudrait pas longtemps avant que les voix, les murmures, les cris et hurlements que représentaient les émotions des gens qui l’entourent ne reviennent l’agresser avec toute la force du premier jour.

Et lorsque ce moment arrivera… l’idée le terrifiait, s'inquiétait, malgré les calmants qui le forçaient à être un bon cobaye bien calme et attentif à ses ravisseurs- ou patient et prêt à les suivre lorsqu’ils viendraient, en tout cas. Les médicaments marchaient, en tout cas- le militaire raté n’avait pas la force de se débattre, pas la force d’hurler des insultes ou de les supplier de l’utiliser lui et de libérer sa camarade- il n’avait même pas eu la force de verser ses larmes lorsque l’on lui avait coupé ses cheveux de force.

Les paroles moqueuses de Viktor continuaient de résonner dans son crâne comme des coups de marteaux qui accompagnent ceux venant de la souffrance d’Agrippina. Artyom ignorait s’il voulait savoir ce qu’elle subissait ou non- ou même s'il souffrirait bientôt de la même façon, à son tour.

Qu’est-ce qu’ils pouvaient bien leur vouloir, bordel… ? Ils avaient déjà des dons. Ils étaient déjà au courant de ceux-ci. Qu’est ce qu’ils pourraient tirer de plus en les torturant sans relâche ? Qu’est-ce que Piotr voulait faire de ses anciens cobayes ?

Tant de questions qu’Artyom ne peut résoudre. Sa tête se baisse de nouveau, un cri refait écho- tout lui fait mal, le son est insupportable dans ce vide et cette solitude auxquels on le force- il voulait tant que tout s’arrête ! Mais abandonner sa camarade- ses autres camarades à Kolowal, Rin, Ilya…

… Il ne pouvait s’y résoudre. Il ne pouvait pas laisser la mort l’emporter, même si cela lui offrirait une victoire contre ses ravisseurs.

Alors, Artyom attend en silence, la respiration tremblante. Il attend que son tour arrive.

Et il garde espoir, malgré tout, que la liberté finira par lui être redonnée- une liberté qu’il pourra partager avec sa camarade de cellule.

Drowning in despair

…

Le silence est enfin rompu avec l’arrivée d’une personne dans sa cage. Artyom n’a pas la force de lever sa tête- la voix, il n’arrive pas à le reconnaître. Pas qu’il puisse même s’il voulait ; il avait peu d’énergie restante, et… et les émotions de ce type, bien qu’étranges pour un scientifique ici à ses yeux, elles s’ajoutent au problème initial dont il souffre.
Pourtant, malgré l’épuisement et la souffrance, il arrive à ressentir de la surprise dans son cœur lorsque c’est son prénom qui résonne entre ces murs froids et sombres- pas son matricule.

Et dire qu’il était déjà le soir, de ce qu’il comprenait… Artyom n’arrivait plus à avoir de notion de temps depuis qu’il était ici- depuis qu’on le bourrait de calmants et autres produits plus ignores les uns que les autres pour le garder docile et obéissant, comme un putain de Ponchiot de compagnie. Ses proches auraient sûrement honte de le voir être autant rabaissé et faible sans rien faire pour se sortir de là- pas qu’il puisse de lui-même, de toute façon.

Un clignement d’yeux, et le scientifique était à présent à ses côtés, en train de toucher ses cheveux charcutés par les mains cruelles de Kholodov. Il n’avait fait aucun effort- il avait juste coupé les cheveux qui dépassaient de l'élastique qui les retenait, détruisant l’accessoire au passage et laissant ses mèches dans un pitoyable état. Dire qu’il les appréciait longtemps… peut-être parce que ça l’éloignait de cette période de l’armée ou il devait les garder court, parce que ça lui donnait l’impression d’avoir quelque chose propre à lui, qu’il peut choisir sans peur.

Mais il n’avait plus rien pour lui, ici, à présent. Sans aucune douceur, sans aucune pitié, on lui retirait les rares choses qu’il avait récupéré pour soi- on lui ôtait son humanité, son véritable soi, pour n’être plus qu’un chiffre au service de la science.

Et pourtant, malgré les cris, les émotions qui essaient de le déchirer, qui le font gémir faiblement de douleur, la perfusion qu’on remet pour le garder docile, tout autour qui cherche à le faire sombrer dans le désespoir absolu… Artyom écoute. Peut-être pour se distraire de sa souffrance et de celle des autres plus qu’autre chose, mais il écoute le gamin qui lui parle, qui vient étrangement s’occuper de lui avec un peu de douceur, de calme… une tendresse qui lui manquait plus que ce qu’il ne pourrait l’imaginer- comme un petit pansement sur une grande plaie, mais un pansement joli et qui protège un petit peu…

- … Je vous écoute.

Sa voix est tristement faible, un murmure qui essaie de percer à travers ces sons ignobles et trop fort qui les entourent ; mais le militaire essaie. Il ne peut bouger, ne peut faire grand chose alors qu’on joue avec ses cheveux- des coups de ciseaux qui le font trembloter légèrement, marqué par les événements d’avant, mais qui se calme lorsque la brosse lui caresse doucement la tête.

Des paroles, des informations sur la vie de celui qui s’occupe de lui avec plus de douceur que n’importe qui d’autre ici ne possède. Un gamin avec un don pour apprendre la science, qui se retrouve à devoir le gaspiller dans cet enfer, sous les ordres de Kholodov et de Demikhov.

Un autre “enfant” portant le nom de Demikhov…

- Comme Rin…

Un autre murmure, plus adressé à lui-même qu’autre chose. Combien de personnes Piotr avait-il sous la main pour sa foutue science ? Entre elle et Yakov, qu’il avait rencontré par le passé…

…

Doucement, Artyom relève avec difficulté sa tête- montrant avec des traces de larmes ayant coulé sur son visage il y a bien des moments de cela, même si ses yeux brillants trahissaient la présence de nouvelles prêtes à couler à la moindre nouvelle souffrance insupportable qu’on lui infligerait. Bien qu’il regarde encore dans le vide, il arrive à faire lever un peu plus fort sa voix, dans l’espoir d’être entendu à présent.

- … Je me souviens de Yakov. De ce qu’il m’a dit. Que vous étiez de la chair à canon pour Demikhov et ses expériences tordues. Qu’il s’inquiète pour son frère- pour vous. Qu’il voulait… que je vous sorte de là.

Sa voix faiblit de nouveau lorsqu’il se rend compte qu’il avait encore échoué à une autre mission. Il ne pensait pas retrouver le frère de celui qu’il n’avait croisé que brièvement dans la capitale ; mais le militaire l’avait proche de lui, et pourtant… pourtant, il ne pouvait rien faire. Il était inutile en ce moment-même, et ça le déchirait encore plus de l’intérieur.

Artyom aimerait soupirer, se montrer déçu de sa propre faiblesse- mais même ça, il n’y arrive pas.

- … Je sais que je ne suis pas en situation de vous sauver… alors, tout ce que je peux faire… c’est m’assurer que vous ne puissiez pas souffrir de ma présence ici. Ne m’aidez pas plus que nécessaire… ne vous mettez pas en péril pour moi. Je peux tenir.

Faites… tout ce qu’il faut pour tenir. Quitte à me sacrifier pour vous garder intact. Au moins jusqu’à ce que je trouve une solution, pour vous sortir de là… et pour faire sortir ma camarade d’ici…

Ils doivent survivre- jusqu'à ce qu’une possibilité de fuite, même la plus infime, leur est offerte… Artyom s’attache à cet espoir, rien que pour garder sa promesse de ne jamais abandonner ses camarades, mais surtout Rin et Ilya.

Sa tête bascule en avant et tout son corps se crispe, alors qu’il retient un cri de douleur pour ne pas attirer l’attention- pour ne pas accompagner celui d'Agrippina. Tout ce qui fait écho dans cette salle, c’est le son de larmes tombant contre le sol.

- Qu’est… Qu’est-ce qu’ils lui font subir… ? J-je… je vais aussi subir la même chose, pas vrai… ?

Difficile de retenir ses larmes, d’avaler cette boule horrible dans la gorge qu’il avait- mais Artyom tient bon et avance à travers la peur, la souffrance, l’anxiété, comme si sa propre vie en dépendait.

- … P-pourquoi veulent-ils encore et encore nous capturer, nous utiliser, nous torturer… ?

Si on lui offre une réponse à cette question… Cela relèverait du miracle à ses yeux- mais il a envie d’y croire, Artyom, aux miracles.

Drowning in despair

Un paradoxe. C’est tout ce que les paroles d’Artyom arrivent à créer- un paradoxe. Un qui voulait lui dire qu’il ne pourrait protéger Feliks de la manière qu’il fallait…

Même avec l’esprit embrumé et calmé de force, le militaire avait l’impression de n'enchaîner que les échecs et les déceptions. Il est pathétique.

Mais ces pensées se feront perturber lorsque les émotions du scientifique commencent à s’éparpiller, à se manifester de plus en plus violemment, à bouffer Artyom avec celles d’Agrippina, et mêmes ses propres émotions- il n’a pas le temps de lui demander de se calmer, le voilà qui se fait frapper, balayer, dévoré par un flot de sons affreux et de souffrances ignobles qui ne semblait pas prêt de s’arrêter- un rythme effroyable qui dure peut-être que de simples minutes pour une personne extérieur, mais qui semblait durer des jours pour l’homme attaché de force ici.

Artyom serre les dents, se mord la langue jusqu'au sang, laisse ses larmes couler tant qu’il peut se forcer à garder le silence-

Par pitié, faites que tout s’arrête.

Lorsque de nouvelles paroles ayant du sens se montrent face au militaire, le désespoir le pousse à s’y raccrocher comme si c’était la seule chose qui pourraient le sauver d’être dévoré par la douleur, la torture, le supplice qu’il vit ici, dans cet enfer sur Terre-

Tout ça pour découvrir que sa chute vers les enfers ne faisait que commencer, et que lui et sa camarades allaient être poussés ensemble dans un supplice pour la science et la religion- qu’on les condamnait ici à devenir des cobayes à torturer et utiliser jusqu’à en faire des putains de “Sankta”. Des saloperies de monstres ni humains, ni divins, des chimères juste là pour satisfaire la demande d’une odieuse saloperie qui se considérait “Tsarine”.

Une explication répétée en boucle et en boucle par le “laborantin” qui ne pouvait s’arrêter de chanter cette chanson cassée, inscrite dans sa mémoire par cœur, comme un disque rayé qu’Artyom ne pouvait faire taire de quelconque manière.

Quand il se tait enfin, que ses paroles changent… Artyom avait gardé la tête basse, et ses épaules avaient suivi le mouvement, bien que terriblement tendues- comme ses mains qui s'agrippent au siège avec ses ongles, comme pour essayer de se faire souffrir physiquement pour faire taire ne serait-ce qu’un peu celle psychique qu’on lui infligeait. Son souffle saccadé n’était qu’une preuve de plus que tout cet horrible moment venait de le frapper de plein fouet, que son état mental était au bord de la rupture totale et qu’il allait se retrouver entièrement démuni face aux scientifiques qui n’attendaient que ça pour l’humilier et le torturer de la façon la plus directe et pure possible-

Des bonbons.

Ses yeux s'écarquillent subitement lorsque la vue de ces confiseries colorées lui est présenté devant son visage- alors que le scientifique explique qu’il était prêt à en subir les conséquences.

- …. Non, non… !

Ce n’est pas ce qu’il voulait… ! Il doit le protéger, bordel ! Il a échoué à protéger sa camarade ici, qui hurlait et souffrait loin de lui… et il allait échouer à protéger le frère de Yakov maintenant !

Un dernier hurlement d’Agrippina, soudain, plus fort que les autres à ses oreilles, brisa ce qui lui restait du don de Summer-

C’est à son tour de crier de douleur, un hurlement aussi fort que celui de sa camarade, comme s’il partageait sa souffrance avec elle alors que leurs cris font échos et disparaissent en même temps, ensemble.

- J-Je suis désolé… je suis désolé… !

Le disque rayé, c’était lui, à présent. Des excuses pitoyables répétées en boucle et en boucle, dans une voix rauque et faible, les yeux tellement bourrés de larmes qu’elles coulent sans arrêt au sol, se mêlant avec quelques gouttes de sang provenant de sa langue qu’il mordait de toutes ses forces pour se faire taire, sans jamais y arriver. Ses ongles griffent et commencent à s'arracher contre la chaise, à défaut de pouvoir bouger son corps et de se fracasser entièrement contre n'importe quoi ici...

Il n’arrivait jamais à rien, de toute façon. Il était qu’un putain d’échec jusqu’au bout.

- P-pitié, laissez-moi prendre sa place- votre place- n’importe qui, mais faites taire ces voix… Par pitié… !

Des mots aussi désespérés que l’homme qui les prononçait. Artyom n’en pouvait plus- entre les cris de souffrance physique et mentale des gens ici, de sa camarade- ses souvenirs, ses traumatismes de ses échecs, de sa vie qui n’était qu’une suite de souffrance et de ratés… !

S’il devait réussir quelque chose- c’était de réussir à protéger ne serait-ce qu’une fois ceux qui l’entouraient. Et la seule façon de le faire- c’était de se sacrifier, de prendre les coups pour eux. Pour qu’ils ne souffrent plus…

Dans un éclat de lucidité aussi soudain qu’éphémère, Artyom se demande si toute cette interaction- les cris d’Agrippina, la crise du laborantin, tout ce qui avait poussé son don à ressortir contre lui et enfin le faire souffrir dans tout son potentiel…

Est-ce que tout ceci était un plan de Demikhov et de Kholodov pour le préparer à ce rituel… ?

Drowning in despair

La “douceur” qui était là pendant un moment s’était éteinte le moment ou ces bonbons lui étaient forcés dans la bouche, sa mâchoire utilisée pour essayer de les broyer, de les mélanger avec la salive et le sang de sa langue torturée et souffrant de plus belle avec les morceaux de confiserie coincés-

Mais la douleur, la panique, le refus de se laisser être de nouveau inutile font finalement recracher ceux-ci de la bouche du militaire, toussant violemment et reprenant des bouffées d’air comme si on avait tenté de l’étranger ou de le noyer.

- Arrêtez, pitié… !

Une voix rauque, épuisée, c’est tout ce qu’il trouve à offrir avec ses supplications pour stopper le laborantin de faire encore plus de dégâts. Pourquoi ne comprenait-il pas que ses “efforts” ne faisaient que renforcer les voix qui lui disaient qu’il n’était qu’un échec, inutile, un mauvais soldat, incapable même de protéger les personnes les plus importantes ?! Le scientifique s’entêtait à vouloir ignorer ses demandes, à régler sa perfusion n’importe comment, à faire des bêtises qui ne font que rendre Artyom plus agité et souffrant- ses cris de souffrance et de peine reprennent, tout comme ses demandes et supplications se font plus fortes, plus désespérées-

- … Taisez-vous, fermez-là, vous ne faites qu’aggraver… les choses… grk !

Un autre crachat de sang, plus violent- son corps voulait vomir, se débarrasser de cette perfusion et de tout ce qui bouffait le militaire- mais sans rien dans son ventre… tout ce qu’il peut déverser, c’est sa salive et le sang qui avait coulé dans sa gorge.

Il n’en pouvait plus. La drogue l’empoisonnait et ne cessait de corrompre son corps contre sa volonté, le tirant dans la docilité la plus totale et un sommeil que le militaire savait pertinemment être une perte de temps, une autre torture infligée qui aurait pu être évitée… enfin, il y a-t-il quelque chose ici qui ne soit pas une torture… ?

Le câlin du jeune homme ne fait rien pour l’aider- mais sans forces restantes, il ne peut le chasser de là. Artyom est trop inquiet par tout ce qui se passe, par ce qui lui arrive mais encore plus par ce qui arrive à Agrippina, à ce laborantin qui ne fait que le piéger dans ses émotions encore plus…

- Non… Pourquoi… ?

Pourquoi était-il condamné à échouer tout ce qu’il faisait, à ne pas réussir à protéger les choses les plus importantes… ?

Est-ce qu’il était voué à l’échec le plus total, à être un soldat raté, comme ses voix et ses émotions continuent de lui dire avec acharnement ?

Le sommeil le prend- mais il faut être aveugle ou stupide pour ne pas comprendre qu’il ne sera aucunement réparateur pour Artyom.

Le supplice de l’humiliation… tout cela avait réussi à le pousser dedans encore plus fortement que la coupe de cheveux ratée ou son propre kidnapping avec la peur des seringues montrée à tous- c’est sur ces pensées qu’il sombre enfin, tremblant, faiblard, inutile, comme il l’avait toujours été, au fond.

Drowning in despair

Un militaire loupé. Une honte. Un échec.

C’est le résumé des rêves- ou plutôt, des cauchemars qui bercent le militaire durant son sommeil forcé. Il se voyait revenir dans l’armée, écrasé, humilié par des gens qui portaient d’étranges visages- des mélanges de camarades, de scientifiques, de ceux qui l’avaient cotoyé dans le passé… tous réunis pour se moquer, montrer leur dégoût, humilier leur ancien camarade-cobaye pour ce qu’il était devenu.

Qu’il doit réapprendre à être un bon soldat, un bon cobaye, s’il veut espérer enfin être libre.

Artyom essayait de se débattre, d’hurler, de sortir de cet enfer- mais c’était comme si il était attaché, condamné à subir cette punition pour sa vie qui avait dévié de son chemin prévu…

Et puis, ses yeux finirent par s’ouvrir. La légère douleur et le manque de sommeil étaient encore là, trahis par un gémissement faible qui s'échappa de ses lèvres tremblantes- son sommeil n’aura peut-être pas duré longtemps, finalement…

Mais une voix similaire le tire un peu plus de son état, malgré la perfusion toujours là- sa tête se tourne, pour constater la présence du laborantin sur le banc- avec une main bandée.

La boule au ventre qu’il possédait ne fit que s'agrandir, comme le poids pesant sur son cœur. Encore un échec, pas vrai… ? Le jeune scientifique se perd dans ses excuses, dans de tristes paroles, alors qu’Artyom essaie de se remémorer de ce qui lui était arrivé avant que le sommeil ne le prenne de force- c’est si flou, encore plus flou que ses cauchemars, mais…

- … N-non, c-c’est moi… q-qui suis désolé. J-je… j’avais besoin de ce sommeil. M-merci…

Il le sentait- même si son sommeil avait été rude et mouvementé, les voix des autres, de leurs émotions, leurs auras… elles s’étaient enfin calmées. Son esprit n’était plus qu’embrouillé par les médicaments qu’on lui injectait constamment… et cela l’aidait à se sentir un peu mieux de ce côté, même si le reste le blesse.

- V-Votre main… je suis désolé de n’avoir rien pu faire… J-j'espère que vous pourrez me pardonner.  

Au fond, c’est de sa faute, pas vrai ? Il avait paniqué, il avait laissé son don le bouffer, et voilà le résultat- il avait blessé ce pauvre garçon avec ses conneries. Putain, quel beau militaire et cobaye parfait, hein… Il secoue doucement sa tête- il ne pouvait plus rien faire pour ça à présent. Maintenant, il doit se concentrer sur maintenant- et le futur. Pour cela…

- Mais… Pourquoi êtes-vous encore ici… ? V-vous n’êtes pas un cobaye, non… ? E-et… ma camarade, je ne l’entend plus…

Est-ce qu’elle allait bien ? Il espère, même s’il n’a pas grand espoir avec tout ce qu’il avait entendu pendant des heures, avant… Mais avec ce qui semblait être arrivé à Feliks- est-ce qu’ils avaient fini avec elle puis puni le laborantin pour ses actions ?

Est-ce que son tour allait bientôt arriver… ? Il avait peur- mais au fond, cela permettrait à Agrippina et Feliks d’être enfin tranquille, en échange- un sacrifice que le militaire serait prêt à prendre pour eux.

- J’aimerais tellement pouvoir vous protéger… vous ne méritez pas d’être dans un tel lieu…

Pourtant, il garde encore espoir de réussir quelque part- de pouvoir les sauver, quitte à se sacrifier pour. Les mots que sa voix tremblante mais déterminée à s'exprimer en est la preuve, malgré tout.

- Vous mettre à l’abri, loin de Kholodov et de Demikhov… Rin a pu réussir à sortir des griffes de son père, d’une façon ou d’une autre- je dois bien pouvoir vous aider à en sortir, aussi… !

Drowning in despair

Il ne ressentait pas la douleur ? Dit comme ça, cela semble pratique, mais… Avec son don, Artyom se doutait bien que les choses ne devaient pas être facile avec, bien au contraire- surtout avec des gens comme Piotr ou Viktor au courant. Il n’entend pas son murmure sur les mains- mais au vu des émotions qu’il perçoit très légèrement… peut-être qu’il ne vaut mieux pas.

A ses questions, des réponses lui sont offertes, mais de bien tristes : Agrippina… elle était en vie, au moins, et cela avait le mérite de lui tirer un  soupir rassuré. Mais la description d’yeux dans le vide, d’esprits inexistants- pas besoin de mettre de mots là-dessus, Artyom connaissait ce genre de choses, et… c’était, pour lui, une façon d’essayer de s'isoler de la réalité, consciemment ou non- une sorte de dernier rempart pour tenir face aux atrocités auxquelles ils sont victimes.

Le scientifique, lui, est puni des soins donnés aux militaires… quels enfoirés ! Même s'il se blâme aussi de ce qui était arrivé au jeune homme, Artyom ne pouvait que se sentir coupable d’avoir joué là-dedans… malgré tout, il prend sur lui, avale sa salive- et laisse échapper un remerciement pour les soins offerts, notamment avec ses cheveux. Il aimait les avoir longs, mais présentable était encore plus important.

Eh, s’il revoit ses camarades, ses proches… il espère que cette nouvelle coupe ne les surprendra pas.

Mais en parlant de Rin- la réaction du laborantin à de quoi faire sursauter légèrement le militaire, comme si la drogue avait cessé d’être assez efficace pour retenir ses propres émotions l’espace d’un instant- parce qu’il faut le dire, la nouvelle qu’on lui sort à de quoi surprendre autant que de choquer tant c’est n’importe quoi ! Aussitôt qu’il finit sa phrase, Artyom se dépêche d’enchainer- comme s’il avait l’impression d’avoir éveillé une petite flamme d'espoir chez le garçon, une flamme qu’il doit continuer de faire vivre pour espérer un jour l’aider à réussir à fuir… !

- R-Rin est en vie- elle l’était à mon départ pour Magnetongorsk, et elle n’a sûrement pas quitté la base depuis… ! Cela fait des années qu’elle est à mes côtés, avec mes camarades, pour dire… ! Il faut croire que… Piotr est vraiment prêt à dire de telles choses, à faire n'importe quoi pour garder le monde sous son contrôle…

C’est triste, vraiment triste et pathétique- mais ce scientifique était prêt à tout réussir dans ses objectifs, perdre son humanité en devait faire partie.

Malheureusement, ce n’était pas la seule chose cruelle en ce moment- l’avenir qui était prévu pour Artyom n’allait pas être beau à voir non plus, s’il survivait, du moins. L’annonce de Feliks avait de quoi le plonger dans le choc, un silence forcé pour essayer de bien intégrer l’information…

Ils allaient tout faire pour réussir l’exploit de créer un Sankta- un putain de Sankta artificiel. Lui, et Agrippina… soient ils devenaient des miracles de la science, soit ils mourraient en essayant de l’être- mais aucune autre issue ne semblait se montrer dans leur malheur. Rien que ce projet… il était fou, impossible, malade- jouer avec de telles forces, de telles puissances- ils se prenaient pour des dieux à présent ?! Il fallait avoir perdu la raison pour penser une telle chose possible- même pour Artyom !  

… Mais ils allaient vraiment essayer, pas vrai ? Il se souvient encore de tout à l’heure- que cette expérience avait été demandée par cette foutue Tsarine en personne…

…

Alors qu’il reste dans un silence parfait, qu’il réfléchit… Même si tout allait être fait pour les briser, les utiliser jusqu’à ce qu’ils ne soient plus que des marionnettes prêtes à être jetées dans un projet qui allait sûrement les conduire à leur fin…

- … Vous n’êtes pas une mauvaise personne.

C’est dit, comme ça, tac.

Artyom n’était pas là pour réfléchir ou faire des discours très bien travaillés- mais il savait qu’il avait besoin de dire quelque chose, alors ces mots… il les puise directement dans son cœur. Des mots sincères, même si on refuse de le croire.

- Vous faites... de votre mieux pour aider les gens. Pour m’aider. Vous avez fait plus que beaucoup de gens auraient fait, malgré les dangers…

Je comprends pourquoi Yakov s’inquiète tant pour vous.

E-et… et c’est pour ça que quoi qu’il arrive, je… je ne laisserais pas cette expérience, ni la mort, m’emporter. J’ignore comment, j’ignore quand, m-mais… mais je dois tenir mes promesses. Il y a des gens que je ne peux pas abandonner… dont vous, et ma camarade… Même Rin…

Même retenu ici, contre cet horrible siège, dans cette cellule froide, drogué de force… L’éclat dans ses yeux bleus ne trompe pas quant à sa détermination.

- M-même si je dois subir les pires souffrances jusqu’à la fin… j-je tiendrais, je tiendrais et je vous sortirais de là… T-tant que je suis en vie, je ne vous abandonnerais pas… c’est ma promesse… !

Même s’il souffre, même s’il doit en mourir plus tard- alors, Artyom accepte ce futur, si cela lui permet de protéger et de sauver ceux qu’il aime.

- A-Alors, s’il vous plaît… tenez bon. Tenez bon, que je puisse vous montrer que Rin est en vie, que tout est possible- même votre liberté… !

Militaire ou non, inutile, échec, ou n’importe quoi d’autre… Rien ni personne ne ferait céder sa promesse. Artyom s’accrochait à celles-ci comme si sa vie et son âme en dépendait.

Drowning in despair

Un petit geste curieux, inconnu, est offert au militaire- son petit doigt serré contre celui du laborantin- une manière de faire une promesse, d’une autre région… Intriguant. Les mots de Feliks semblent en tout cas toucher Artyom, qui offre enfin pour la toute première fois un petit sourire, fatigué, mais plein d’espoir et déterminé à tenir sa promesse jusqu’au bout.

Mais un appel soudain, venant de l’extérieur de la cellule, le font vite arrêter et baisser la tête- comme s’il s’apprêtait à faire comme si de rien n’était, pour protéger Feliks… mais au vu de sa réaction, Artyom lève doucement sa tête et son regard pour vérifier la situation- ce scientifique… il le reconnaît- borgne et souvent avec Kholodov et Demikhov, difficile de l’oublier. Il avait l’air un peu plus terre à terre et direct- mais… au moins, il n’était pas comme les fous furieux ici, à première vue.

Tout du long, le militaire ne dit rien, ne cherche pas à attirer l’attention- mais voilà que son nouveau “camarade” revient vers lui, avec quelques gâteaux… Bien évidemment qu’il est surpris encore, malgré l’épuisement, de son geste- n’avait-il pas besoin d’un peu plus d’énergie ? Surtout qu’ils semblaient destinés à lui et non au cobaye, vu la réaction du scientifique à l’extérieur.

Mais avec la douceur et les promesses faites… oui, Artyom comprend qu’il doit aussi accepter l’aide d’autrui pour s’en sortir- et avec un petit remerciement murmuré, il mange doucement les gâteaux pour ne pas se blesser en les mâchant ou une autre bêtise à aller trop vite. Il n’avait pas bien mangé depuis… son arrivée, donc un peu de nourriture n'était clairement pas de refus, même la plus simple- surtout qu’il faut l’admettre, Arytom et les gâteaux… c’est une petite histoire d’amour.  

Les gâteaux avalés et disparus, l’autre scientifique se barre, non sans avoir reçu la demande d’aider et de s'occuper Agrippina- et bien qu’ils ne pouvaient parler librement, Artyom fait un signe de tête respectueux envers Rem, le remerciant silencieusement de son geste et de son aide toute aussi précieuse. Finalement, ils avaient peut-être plus d’alliers que prévu, ici, et cela rassurait le militaire sur ses espoirs et promesses… Même sans beaucoup de sommeil et avec un avenir qui s’annonçait dur et compliqué, le militaire s’accroche à ses espoirs, à ce qui lui reste de personnes saines d’esprits ici- il peut tenir, il veut y croire, au plus profond de son cœur…

Quitte à ne plus pouvoir dormir, ils pouvaient parler ici, au moins- ce n’est pas avec cette drogue dans ses veines que le militaire pourra faire grand chose pour son énergie. Piotr avait tout calculé pour qu’il reste docile sans pour autant avoir de repos… Mais au moins, peut-être que parler de Rin l’aidera à se sentir plus détendu.

Rien que de parler d’elle lui apporte de nouveau un petit sourire- oh, il pourrait en raconter, des histoires et des aventures, avec Rin à ses côtés… Il l’aimait toujours autant, même si il n’était clairement pas adroit avec ses propres émotions et sentiments- et repenser à elle à de quoi lui donner toujours une bonne raison de tenir le coup et de rester en vie.

Juste pour la revoir ensuite- au moins ça, c’est le minimum qu’il espère pouvoir faire…

Alors, il parle, encore et encore- de Rin, des histoires autour d’elle, de tout ce qui lui passe par la tête à propos de sa “camarade”- mais surtout, de sa compagne. Et il continue, continue, jusqu’à ce que son camarade de cellule s’endorme. Il en avait aussi besoin, de sommeil, après tout… et Artyom ne comptait pas lui ôter cela.

De toute façon, il fallait qu’il se prépare mentalement à la suite, de son côté ; avec le rythme de travail des scientifiques ici, à tout moment, il serait l’heure de souffrir…