Il n'a pas su se concentrer sur quoi que ce soit ce jour-là. Pas sur son arène, pas sur le repos qu'il a promis à Oktyabrin, encore moins sur ses propres besoins et envies. Tout ça pour les beaux yeux d'un homme qui ne l'aime pas. Comment lui refuser de le voir ? Il ne rêve que de ça, jour et nuit, tuerait pour qu'il soit la première chose qu'il voit chaque matin au réveil. Évidemment, il ne s'agit pas d'un rendez-vous galant... juste d'un ami allant en voir un autre.
Grigori a un cadeau pour lui... et il avoue ne pas avoir pu s'empêcher de penser à un Verpom... comme si l'histoire de Gala ne lui avait pas appris la leçon.

Il essaie de calmer son souffle... c'est probablement juste un bouquin sur les plantes qui prendra la poussière dans sa bibliothèque, il ne devrait pas s'enflammer pour rien.

Plus facile à dire qu'à faire... son cœur s'emballe déjà à la vue du jeune homme qui entre dans l'arène. Comme il aimerait savoir rester de marbre, accepter son accolade sans la moindre ambigüité... mais rien à faire, ses muscles se changent déjà en marshmallow en sentant sa chaleur contre lui.
S'il se respectait, s'il respectait Grisha, Mishka lui dirait... il lui dirait qu'il a des sentiments pour lui, qu'il sait qu'ils ne sont pas réciproques et qu'il préfèrerait éviter les formes d'affection qui lui donnent trop d'espoir et un plaisir peut-être malsain. Mais évidemment, Mishka n'a jamais été très courageux.

Alors il se contente de sourire. Et d'essayer de ne pas fondre en larmes en sentant la main de Grisha se poser en toute innocence sur sa joue.

N-ne t'en fais pas, essaie-t-il de rassurer, je vais bien, juste un peu fatigué...

Entre les souvenirs de Dusknograd et ceux de Magnetongorsk, les cauchemars deviennent oppressants. Il en perd le sommeil, comme si sa santé n'était déjà pas bancale à l'heure actuelle, entre les conséquences de la kéta, sa dépression en roue libre et l'anémie quand les choses vont trop mal.
Que de choses que Grisha n'a pas besoin de savoir. En ce qui le concerne, Mishka est juste un petit peu stressé par son travail, voilà tout.

Ça me fait plaisir de te voir aussi, un euphémisme, qu'est-ce qui t'amène ici ? Ce n'est pas souvent que tu quittes Snoverkoutsk...

Ce qui n'est pas étonnant. Malgré la vitesse de l'Orient Express, un aller-retour Snoverkoutsk-Sankt Duraluburg n'est pas de tout repos. Pourtant, une petite part de Mishka en veut à son ami de ne pas venir plus souvent. Parce que, égoïstement, il aimerait qu'il vienne le voir simplement par amour. Impossible, évidemment. Alors il compte bien profiter de chaque petite seconde en sa présence, aussi douloureuses soient-elles.

Intérieurement, il aurait presque aimé que Grisha voie à travers son mensonge. Qu'il comprenne que "juste fatigué" veut en réalité dire "j'ai déjà un pied dans la tombe". Qu'il le prenne dans les bras et le supplie de ne pas mourir comme le ferait Oktyabrin.

Il se sent un peu coupable de penser à lui dans ce moment au vu des circonstances...
Mais le cœur a ses raisons, comme on dit.

Le rire tendre du jeune homme fait sourire Mishka malgré lui. Il aurait aimé le causer de façon volontaire, pas en étant si maladroit. C'est vrai, il attend un cadeau, mais l'aurait presque oublié... il se retient de dire que sa présence est déjà un cadeau en soit... c'est peut-être un peu trop, pour des amis. Et il ne voudrait pas ruiner le peu de sentiments positifs que le champion Plante a envers lui.
Ne pas ressentir son amour le fait déjà souffrir au quotidien. Il ne sait pas s'il survivrait à perdre son amitié.

Le cadeau arrive déjà l'air de rien derrière les deux hommes, d'ailleurs. Il ferait presque sursauter Mishka, mais c'est surtout la douleur qu'il ressent en premier. Celui de se faire écraser le pied par un gros dino feuillu. Il retient un juron, d'autant que le Jungko n'a vraiment pas l'air méchant... il semble même désolé, et à en juger par ce que raconte Grisha, il est tout aussi timide que lui.

Il le prendrait presque mal, d'être comparé à un être qui se montre faible et pathétique, caché derrière son dresseur... mais il suppose que c'est vrai. Il ne vaut clairement pas mieux que ça. Il irait même jusqu'à dire qu'il vaut moins que ça. Le Pokémon, lui, n'a sûrement jamais craché de venin à son ami.e, il n'a sûrement jamais ruiné un repas de famille avec ses pensées suicidaires, ni refusé de prendre contact avec sa famille par honte de ce qu'il était devenu.

Au final, il devrait le prendre comme un compliment.

Oh... je suis... flatté.

Ni vraiment un mensonge, ni une vérité. Plus quelque chose qu'il déblatère sans réfléchir pour meubler le silence.
Sa main vient s'approcher de la patte du Jungko, qui se laisse toucher timidement.

Tu es superbe. Si tu as besoin d'un dresseur je serai honoré de t'avoir comme partenaire.

En dépit de son regard fatigué, il dit la vérité. Peut-être parce qu'il se reconnait en lui, peut-être parce que c'est un cadeau de Grisha, ou peut-être un peu des deux... il se sent déjà responsable pour le reptile, qu'il a envie de protéger comme un enfant... bien qu'il soit presque aussi grand que lui.

Est-ce qu'il a déjà un nom ? demande-t-il à Grigori avec un sourire, je suis sûr que tu as déjà pensé à quelque chose...

De la part d'un horticulteur aussi passionné, le contraire l'étonnerait.

Aster ? C'est un joli nom... murmure Mishka, autant un compliment pour Grisha que pour le Jungko.

Il sourit un peu à l'idée qu'il connait assez bien son ami, assez pour avoir deviné qu'il ne s'était pas contenté d'appeler le Pokémon par le nom de son espèce. Mishka ne s'y connait pas des masses en plante, mais pas besoin d'être un génie pour savoir d'où vient le nom d'Aster. Grigori passe ses journées plongé dans des bouquins de botanique.

Le champion Plante caresse lui aussi le Jungko, qui semble ravi d'avoir autant d'attention sur lui. Le blond se maudit quand une pensée lui vient comme un petit démon sur l'épaule, lui dire qu'Aster est un peu comme leur enfant désormais. Quelque chose qu'il n'aura jamais, il le sait bien. Son cœur se serre en y repensant, si bien qu'il ne remarque pas les yeux de Grisha posés sur lui.
Sa question le fait presque sursauter.

Et Mishka n'est pas beau à voir quand il est embarrassé. Stupide cerveau, qui crie victoire à l'idée d'aller manger au restaurant avec Grigori. Ce n'est pas un rencard. Il ne le sait que trop bien. Alors pourquoi il n'arrive pas à éteindre cette étincelle d'espoir dans son cœur ? Sa détresse doit se lire dans son regard fuyant et ses joues rouges, mais heureusement, Grisha n'a jamais été très perspicace.

Oh... je... je n'avais rien prévu mais... je voudrais pas te gêner...

L'homme raisonnable en lui crie de refuser son invitation, qu'il ne se fera que du mal à passer du temps avec celui qui ne retournera jamais ses sentiments. Mais c'est le grand romantique qui gagne, celui qui voit le monde en rose bonbon et perd toute raison dès qu'il pose les yeux sur le visage parfait de Grisha.

Mais ça me ferait plaisir... vraiment.

Comme il se déteste. Il a l'impression d'être une petite écolière timide. Il a l'impression d'être complètement ridicule. Il ne peut que garder la face et prier pour que son ami, lui, ne remarque rien.

Une part de lui espère presque que Grisha change d'avis. Qu'il lui brise le cœur une énième fois. Parce que l'espoir fait mal. L'espoir fait d'autant plus mal quand on sait qu'il ne mènera nulle part. Nulle part de beau, en tout cas...
Mais le champion Plante garde son stupide sourire innocent aux lèvres. Mishka aime ce sourire autant qu'il le déteste. C'est lui qui lui fait faire des choses stupides, qui le pousse à s'autodétruire au grand dam de ses proches. Il n'irait pas jusqu'à dire qu'il blâme Grisha pour tout ce qui va mal dans sa vie, non. Car ce n'est pas de sa faute s'il est si beau.

Il sent son cœur, ses poumons et son estomac s'arrêter quand son ami lui mentionne devoir aborder quelque chose de sensible.
Il se hait de tout de suite penser à quelque chose qu'il aimerait entendre. Quelque chose dont il rêve toute les nuits pour se réveiller avec toute la détresse du monde. Il sait bien que Grisha ne va pas lui déclarer son amour. Connaissant le botaniste, il compte probablement lui demander quelles fleurs il devrait faire pousser pour l'été. S'il y a quelque chose qu'il prend au sérieux, après tout, ce sont bien ses plantes.
Alors, Mishka se contente de soupirer et de sourire faiblement.

Bien sûr, suis-moi.

Il le mène à travers les rues de Dusknograd, combattant l'envie presque animale de prendre se main et de la serrer fort contre la sienne. Aster est désormais dans l'une de ses Pokéball, il ne veut pas que son nouveau compagnon le voie ainsi. Si le Jungko est aussi semblable à lui que le dit Grisha, il s'imaginera probablement des choses aussi.

Ses pas les mène jusqu'à un restaurant bien caché dans une ruelle, à l'ambiance tamisée. Il s'y était déjà rendu avec Yuri et il sait qu'il est peu fréquenté, et que pourtant la nourriture y est bonne. Un petit secret gardé par les habitants de la ville, loin des yeux des touristes.
On les assoit à table et on leur apporte une bouteille de vin que Mishka a déjà envie de descendre par détresse. Il n'est pas du genre alcoolique, mais sur le moment, il cherche par tous les moyens à s'évader de la réalité. Il boit son premier verre et le repose d'une main tremblante avant de demander à Grisha :

Alors... de quoi tu voulais me parler ?

Que cet espoir dans ses entrailles se taisent.
Il sait déjà qu'il va se faire déchirer en mille morceaux par la réponse de son ami.

Le silence avant la tempête...
Il le sent peser sur ses épaules, tandis que Grisha prend une timide gorgée de vin - lui aussi a probablement besoin de se donner du courage. Il a envie de le devancer, de lui dire qu'il sait. Qu'il ne veut pas l'entendre. Mais ça lui ferait de la peine, n'est-ce pas ? S'il se confie à lui, dans une contrée aussi fermée d'esprit, c'est qu'il lui fait confiance. Il n'a déjà pas la chance d'avoir son amour, il ne veut pas se faire haïr.

Il en mourrait probablement.

Enfin, si son cœur ne le tue pas avant. Son anxiété ne fait pas bon ménage avec l'alcool, quand bien même il n'en est qu'aux premières gorgées de son second verre. Il peut sentir son palpitant battre à cent à l'heure, essayant probablement de fuir ce corps maudit avant de devoir entendre la nouvelle.
Grisha demande à son ami de se pencher vers lui pour lui murmurer un secret, ce qu'il fait à contrecœur...

Son cœur n'a pas pu fuir à temps.
S'il n'était pas déjà brisé, cette fois il l'est, en mille morceaux. Irréparable, probablement.

Mishka sent les larmes lui monter aux yeux. Ses mains sont moites et sa gorge tellement serrée qu'il se sent étouffer.
Ça fait presque dix ans qu'il vit ici. Dix ans qu'il vit son amour à sens unique. Dix ans qu'il se préparait à entendre ça, et pourtant... il peut les sentir. Tous ces petits espoirs malgré lui, tous ces petits moments de joie accumulé pendant toutes ces années, les regards purement platonique échangés avec Grisha et leurs discussions sans ambigüités... ils lui font mal. Lui tranchent le bide depuis l'intérieur comme des morceaux de verre brisé.

Et l'aura de Grisha...
Si rose, si sucrée, rien qu'à penser à son Aleksandr de malheur. Mishka a envie de lui jeter son verre de vin à la gueule pour oser être si heureux alors que lui se sent pourrir, organe par organe. Mais Grisha n'a rien fait de mal, n'est-ce pas ? Il n'a fait qu'avouer à un ami qu'il est amoureux. Ça devrait être une discussion légère, heureuse, comme deux adolescentes parlant timidement de leur crush à une soirée pyjama.

Difficile à expliquer pourquoi il pleure... alors il essuie ses larmes, renifle et invente un mensonge.

Pardon c'est... les fleurs, dit-il en désignant le bouquet sur la table, ... allergique...

D'un revers de manche, il essuie ce qu'il lui reste et tente de se ressaisir. Sa voix comme son corps tremblent comme une feuille d'automne alors qu'il peine à articuler.

Je sais... c'était un peu évident, haha... il regarde autour de lui, feint de chercher le serveur pour ne pas avoir à regarder Grisha dans les yeux, et tu... tu comptes le lui dire ?

Ah, si Grisha était plus malin, il y verrait clair comme de l'eau de source.
Mais il ne l'a jamais vraiment été...