TW : chasse et tout ce qui va avec, si jamais

Ses doigts s’attellent avec une minutie sans pareil à faire le dernier nœud qui constituera son piège. C’est plus rudimentaire que ce qu’on lui propose d’utiliser mais Ruvim est catégorique, il ne changera pas ses habitudes simplement parce qu’il a désormais un employeur. Non, ça a toujours bien fonctionné ainsi, il n’y a pas de raison pour changer le procédé. Il se relève, ses articulations craquent, il ravale un soupir de fatigue. Il n’est plus tout jeune, ce n’est plus si facile.

Il se souvient de quand il était, à ses yeux, roi de la toundra. Car il n’y avait que lui et son père dans une cabane paumée au milieu des bois. Ruvim apprend très tôt la rudesse de l’endroit et à craindre son froid. Quand il était tout petit et qu’une seule peau de bête suffisait à l’enrouler, tandis que le feu de cheminée crépitait. Il y avait des jours sans, souvent les derniers avant le printemps car son père ne changeait jamais le nombre de bûches qu’il stockait. Il en prévoyait une certaine quantité sans se soucier de s’il faudrait affronter des jours plus difficiles que d’autres.

Ruvim grandit avec cette peur de manquer.

Son père fait de même avec les réserves, toujours le même nombre. Il lui dit qu’il ne faut pas prendre plus à la nature pour qu’elle continue de donner. Le jeune garçon aimerait comprendre mais quand la faim le tiraille ou que le froid lui bouffe les orteils, il maudit son paternel de ne pas dévier de son mantra. Il lui en veut encore plus quand il a l’âge de se souvenir de leurs virées en ville tous les six mois pour vendre ou échanger peaux et viandes contre des conserves ou du matériel de chasse, parfois quelques vêtements, souvent des dons de parents qui ont pitié des habits du pauvre petit.

Snoverkoutsk a beaucoup à offrir à un gamin curieux qui ne connaît rien d’autre que sa cabane. Il apprend que certains enfants ont des mamans, viennent parfois d’ailleurs, vouent des cultes et ont des croyances. Ruvim on ne lui dit pas qui est sa mère, ni où elle est passée. On ne lui dit pas non plus d’où il vient si ce n’est de la toundra. Les croyances ? Son père ne lui en transmet pas, que son mode de vie d’ermite.

L’école ? Il n’ira pas, son père lui apprend à lire et à écrire, compter aussi mais ça s’arrête bien là. Le reste de son éducation c’est l’autarcie, comment survivre. Il apprend à manier le couteau aussi bien que le stylo, taille dans le bois des petites figurines pour s’en faire des jouets. Quand il a l’âge c’est le fusil, même si ce n’est pas la méthode de chasse préférée de son père. Les pièges eux, permettent moins d’accident et si la bestiole ne l’intéresse pas, il peut la relâcher. Si elle est blessée, il l’emmène chez lui et la soigne avant de la libérer. Ça fait parti de son respect pour la nature, Ruvim ne voit là qu’une bouche supplémentaire à nourrir.

Pour le garçon, les pokémons sont du bétail.

Sauf le Mastouffe que ramène un jour son père pour l’aider dans ses traques. Le chien est terriblement gentil, presque trop, Ruvim n’en veut pas. Il pense aux Poussifeu du poulailler dont on mange les œufs et, quand ils meurent, qu’on mange pour ne pas gaspiller, allant même à faire des bouillons avec la carcasse pour rentabiliser jusqu’au bout. Les différentes prises de son père qui sont là-aussi mangées et dépecées, certaines dont la tête trône empaillées dans le salon, d’autres dont les peaux servent de tapis ou de couverture.

Il craint de s’attacher à cette bête et qu’on le lui fasse consommer.

Mais accompagné du Mastouffe, Ruvim peut sortir sans son père, toujours un peu plus loin. Il apprend à aimer la liberté que leur confère leur style de vie. Ici, il peut hurler à plein poumons sans gêner, même se promener nu s’il le veut ! Pas qu’il le fasse mais il pourrait. A son tour, il pose quelques pièges, n’attrape que du petit gibier qu’il n’ose pas apporter à son père. Après tout, celui-ci n’accepte pas que son fils chasse autrement qu’avec lui. Il les relâche après leur avoir fait bien peur, l’adrénaline explosant d’avoir le contrôle de vie ou de mort sur une si petite bête.

Quand Ruvim a dix-huit ans, son père disparaît.

Et le jeune homme l’attend, les jours passent et se transforment en semaines puis en mois mais il ne revient pas. S’il le cherche aussi bien en ville que dans la toundra, Ruvim ne le retrouve pas et les vivres commencent à manquer. Alors il met tout ce qu’il a apprit en pratique et se met à chasser, dépecer, couper, saler, conserver, manger. Il peut enfin faire de plus grosses réserves, il coupe plus de bois, tue plus de pokémons que son géniteur. Il va en ville de plus en plus souvent, accepte les commissions et n’a aucun remord à s’en prendre un pokémon qui ne sera pas consommé. Tant que le prix est bon, Ruvim régale ses clients.

Loin des conflits et de la politique, l’homme se forge une réputation qui atteint les oreilles de la Team Stal. Il entre alors dans sa quarantaine et l’expérience qu’il s’est forgée durant toutes ces années semble propice à la branche trafiquante pour le commerce de pokémons. On lui fait comprendre que ce serait tout à son honneur d’accepter. Ruvim hésite mais depuis la mort de son Mastouffe, il n’a plus le cœur à rester seul. Des collègues ? Pourquoi pas, bien que ça lui est toujours aussi difficile d’accepter le point de vue de quelqu’un d’autre.

Le voilà donc aujourd’hui, dix ans d’ancienneté dans l’organisation à braconner à sa façon. Tant que les résultats sont là, on ne l’emmerde pas. Il se relève donc, satisfait de son travail, faisant signe à sa stagiaire qu’ils peuvent rentrer, ils reviendront demain voir ce qu’ils ont attrapé. Avant de partir il lui enroule son écharpe autour du cou, lui tapote l’épaule et prend la tête de la marche. Il est comme ça Ruvim, il ne peut s’empêcher de prendre soin des plus jeunes, sûrement pour compenser de n’avoir pas été aussi chouchouté par son père.

Emmitouflé dans son propre manteau, ses pas sont lourds dans la neige. Imposant ? Un peu. Ruvim n’est pas très grand mais il a une sacrée carrure. Des épaules larges et des grandes mains qui font penser à des pattes d’Ursaring tant elles sont velues. C’est qu’il est poilu le bonhomme, en témoigne sa longue barbe, sa fierté. Sans, il ressemble beaucoup trop à son père. Ne lui reste que le regard, des yeux marrons surmontés d’épais sourcils et son nez cassé. Toujours dans un soucis de ne pas avoir la même tête que son paternel, il porte ses cheveux longs, souvent à moitié attachés car la tignasse est difficile à dompter. Pour ce qui est des vêtements, toujours des pantalons unis ou en velours pour lui tenir chaud. De gros pulls plus moches les uns que les autres ? Une passion grandissante. Il n’a pas honte de porter des vêtements qui épousent ses formes, sa bedaine bien ronde est le symbole qu’il ne meurt plus de faim.