La blonde ignore depuis combien de temps elle fixe la porte de sa chambre, canif à la main. Ses yeux avait eu le loisir de s'habituer au manque de luminosité, après s'être ouverts en un sursaut : mais aucune trace du bruit qui aurait dû la réveiller, d'un mouvement extérieur qui aurait donné raison à sa vigilance. Les ombres traversant le seuil de la porte ou les subtils mouvement de la poignée n'étaient que des illusions, un mauvais tour de son cerveau pour l'empêcher de relâcher la pression et le pire ? C'est qu'elle en avait conscience. L'ancienne militaire avait eu le temps de perfectionner ses réflexes, ces dernières années : et la frustration de ne pas pouvoir se défaire de ce sentiment de peur vain la pousserait aux larmes, si elle était encore capable de pleurer.

Mais elle devait se concentrer. L'un des sons parvenant à ses oreilles était la respiration régulière de Lyona : leur arrivée impromptue dans les rangs de la team ne leur avait pas laissé le luxe de faire chambre séparé et cela ne la dérangeait pas, dans la mesure où le dortoir des filles à la caserne n'était pas vide non plus. Ses collègues étaient souvent transférée aussi n'avait t-elle pas l'occasion de se familiariser avec leurs habitudes de nuit, ceci dit : en ce sens, pouvoir prédire la fréquence des expirations de l'autre humain non loin avait quelque chose de rassurant ou, du moins, non menaçant. Le seul autre son était celui des gouttes de pluie frappant le bâtiment, masquant probablement ceux de pas si elle en croyait les pensées traversant son esprit.

Avait t-elle oublié de respirer ? Recroquevillée comme elle était, Irina ne faisait pas le moindre bruit et les inspirations qu'elle prenait ne devait pas apporter grand d'oxygène. Dans cet espace étroit, suffoquer semblait pour son cerveau plus admissible que de risqué d'être entendu il faut croire. Ironique, que ce dernier choisisse l'inertie là où, quelques mois plus tôt, c'était la violence pour laquelle il optait : sa famille a dû apprendre à la dure de ne pas entrer dans la pièce, lorsque ce genre de réveil était encore accompagné de cris. Elle ne pourrait se permettre ce genre d'écart ici et c'est peut-être ça qui poussait son corps à réagir autrement -mais pas moins douloureusement- à ces montées de stress.

Oui, du stress, rien de plus. Irina bougea avec grand peine, attendant la certitude de n'entendre aucun bruit avant de s'aventurer dans le couloir. Avant qu'elle ne le sache, ses petits pas en direction de la sortie du bâtiment s'étaient changés en enjambées de courses : oh elle allait douiller, demain, à l'entraînement, avec les jambes en charpie, mais ce ne sera pas la première fois et ce serait le problème de la soi du futur. Tout ce qui lui traversait l'esprit, actuellement, c'était de dégager au plus loin possible. Elle ne savait pas ce qu'elle fuyait mais se déplacer physiquement lui donnait l'illusion de le semer et c'était la seule chose pouvant calmer ses nerfs, la défaire de l'impression de soit crever, soit devenir folle.

Une fois ses jambes trop douloureuse pour continuer sa course, la jeune femme revint trempée au sein de la base, la fatigue physique prenant le pas sur sa vigilance. C'est pour cela que son esprit tarda à remarquer l'ombre dans son champ de vision, le rapport avec le son de pas en sa direction et l'action à prendre dans ce genre de cas, c'est-à-dire vite reculer de l'ennemi pour lui pointer son arme. Ah, elle savait rationnellement que c'était un camarade, mais la partie d'elle reconnaissant le jeune homme n'avait pas le dessus sur celle voyant en lui un danger imminent : et sa respiration saccadée, pauvre tentative de calmer son rythme cardiaque, ne la laisserait pas s'expliquer ni lui dire de dégager de sa vue s'il voulait pas qu'elle le bute.

La fatigue avait laissée place à l'adrénaline, mais la pointe de sa lame tremblait : était-ce la peur, l'hésitation ou tout simplement le froid ? Si Irina n'avait pas eu le bon sens de saisir plus qu'un simple manteau traînant dans le coin pour se couvrir sous ce déluge, elle n'avait pas plus celui de décortiquer ça. Cassik, hein ? Oui, elle voyait qui c'était. Un frère d'armes, tout comme eux. Quelqu'un qui voudrait tout sauf son bien.

" - Il ment. " murmura-t-elle entre ses dents, inaudible sous le son des gouttes.

Pourtant son regard se détacha de l'homme en se tournant vers sa propre jambe, comme pour vérifier ses dires : mais si elle constata bien la tâche écarlate à travers le tissus trempé de son bas elle s'en détourna vite, visiblement agacée.

" - Pourquoi... " commença-t-elle, ayant quelques difficultés à construire une phrase " T'crois que j'suis assez conne pour tomber dans le panneau ?"

Elle savait que vouloir la soigner n'était qu'une excuse de merde pour qu'elle baisse sa garde mais force est de constater que, dans l'immédiat, le gringalet ne représentait pas une menace suffisante pour qu'Irina ne gaspille ses forces à pointer son arme. Cassandre n'était pas armé (sauf en admettant qu'une couverture puisse servir à étouffer quelqu'un) or il valait mieux qu'elle garde son canif près d'elle s'il s'agissait d'une distraction, de même qu'elle conservait son peu de contenance dans le regard accusateur qu'elle jetait à son interlocuteur.

" - Je vais pas te laisser partir avant de savoir c'que t'as derrière la tête. "

Cela se voulait être une menace, mais bon... S'il prenait les jambes à son cou, Irina doutait de réussir à le rattraper vu comment les siennes tremblaient. Elle ne savait pas vraiment ce qui la poussait à vouloir le retenir, d'ailleurs, si ce n'est se dire que maintenant qu'elle avait croisé l'gusse, sa cervelle allait être pourrie par de vaines tentatives de deviner le plan qui se tramait derrière son dos, quoi qu'elle fasse.

" - ... A commencer par ce que tu fous dehors sans uniforme. " demanda t-elle le plus sérieusement du monde. Les couloirs de son ancien régiment et ceux de la base Stal faisaient un dans son esprit, les incohérences gommées par une vague sensation de vertige.