Liens du Sang

Depuis combien de temps Artyom s’était isolé dans son atelier, à fuir les gens et leur présence comme la peste en personne ? Oh, la notion du temps avait été perdue depuis peu, mais ce qu’il sait, c’est que la moindre âme qui passe devant la porte de son seul refuge semble réussir à tordre le temps pour qu’il souffre le plus longtemps possible.

Ces émotions, ces sentiments…

Chaque jour, il a l’impression de les entendre de plus en plus fort, quoi qu’il fasse. Ce qui n’était auparavant que des murmures à peine audibles était maintenant presque des cris qui cherchaient à attirer son attention à tout prix. Le militaire avait tout fait pour : se couvrir constamment les oreilles, faire en sorte de “prévenir” ses camarades de ne pas approcher d’ici, tenter de créer un fond sonore pour le distraire, fuir dans la toundra, essayer même de se faire du mal jusqu’à espérer perdre connaissance et tout faire taire…

Mais rien n’y faisait. Son cas s'aggravait de jour en jour, et chaque tentative de conserver ce qui lui reste de santé mentale et physique se faisait oblitérer en un clin d'œil, l’exposant de plus belle à ce qui le torturait. Combien de larmes, de pleurs de désespoir et de colère avait-il versé à cause de ce foutu “don” qu’il refusait d'appeler ainsi ? Peut-être plus que tout ce qu’il a versé dans sa vie- vie qui n’était plus qu’une torture à ce stade. Il ne pouvait même plus aller voir Rin ou Ilya- leur simple présence lui manquait terriblement, mais les émotions qu’il ressent de leur part ou les siennes suffisaient à lui dissuader sous la menace de la douleur, comme un Caninos avec un collier électrique qui prendrait une décharge s’il voulait aller là ou il n’avait pas le droit.

Parlant de Pokémon- ses seuls “contacts” en ce moment étaient les siens. Et encore… il n’en sortait qu’un à la fois, les seules exceptions étaient lorsque le militaire les laissait sortir de son atelier pour qu’ils aillent faire ce que bon leur semble- il les aimait énormément, et les laisser souffrir avec lui serait cruel, d’autant plus que s’il supporte mieux leurs émotions à eux que celles des humains, reste que cela lui fait quand même mal de les entendre.

En ce moment, c’était Poslannik qui était de sortie. Fidèle Cornèbre rouge qui, malgré tout, faisait de son mieux pour maintenir Artyom au courant de ce qui se passait dans la base, qui transmettait les rares messages que le militaire pouvait avoir à offrir à ses camarades et vice-versa, le seul être qui lui permettait encore de communiquer avec ses pairs. Son travail n’a jamais été aussi important en ces temps difficiles, où son ami s’effondrait de plus en plus à chaque seconde qui passe. Chaque message transmis était un soulagement temporaire sur le cœur d’Artyom, qui devait compter sur lui et ses autres Pokémon pour maintenir sa tête hors de l’eau. Un délai supplémentaire dans sa souffrance, à la fin ; mais l’homme ne voulait pas perdre espoir, quoi qu’il arrive…

Mais voilà qu’un jour, l’oiseau revient voir son ami avec une lettre attachée à sa patte. Le Cornèbre dû piailler bien un moment pour attirer l’attention d’Artyom, allongé au sol comme la plupart du temps depuis son isolement ici et aussi pâle et immobile qu’un cadavre, un qui refuse pourtant encore de mourir. Assez pour qu’il réussisse enfin à se mouvoir difficilement et lentement, devant s’y reprendre quelques fois pour réussir à ôter correctement le message et l’observer de plus près…

Ses yeux bleus mi-clos s’ouvrirent un peu plus en y constatant non pas que de l’écrit, mais un dessin au message clair. Il n’avait pas besoin de chercher loin pour y reconnaître la patte de Summer là-dedans, et bien qu’intriguant… cette simple chose suffit à lui faire esquisser un faible sourire sur le coin des lèvres.

C’est peut-être la seule personne ici dont il arrive encore à tolérer les émotions, d'une certaine manière… Et Artyom allait faire l’effort de se montrer présentable si elle voulait le voir.

Pas besoin de toquer à la porte- le militaire avait rapidement “senti” la présence aux émotions familières approcher son atelier. Habillé dans sa tenue habituelle et comme il se doit, il était déjà prêt à lui ouvrir, essayant de prendre une expression plus douce dans son air pour ne pas l’effrayer d’avance- oh oui, il l’a vu dans un miroir, son état pathétique. Il le voyait depuis des jours et des jours. Il ne peut pas le cacher, mais s’il peut faire un effort malgré la douleur, pour Summer, Artyom le fera.

Il lui fallait juste quelques instants pour se préparer à subir les émotions douloureuses, une souffrance que son corps refuse de s’habituer- mais il finit par ouvrir enfin à la jeune fille, la saluant dans sa tête… et son air doux remplacé rapidement par une pointe de curiosité, en la voyant avec autant d’affaires sur elle. Summer avait dû bien vite le voir et comprendre, vu tout ce qu’elle commence à lui raconter… et le militaire l’écoute sans l’interrompre avec attention- parce que quoi qu’elle ait en tête, cela semble le concerner et être sérieux.

Elle avait vu son mal être- mieux que quiconque ici, sûrement. Mais… partager son don pour le protéger ? Un instant, Artyom tremble et sent la peur chercher à l’attraper, les souvenir de Magnetongorsk ne pouvant cesser de revenir le frapper lorsque le mot “don” était prononcé en sa présence… Mais cette peur se fait vite terrasser lorsqu’une autre pensée lui vient : celle qu’il faisait entièrement confiance à sa “Petite Soeur”, comme elle le faisait avec lui et qu’elle voulait aussi bien le protéger que lui le ferait avec elle.

Et puis… cet espoir d’enfin faire le vide dans sa tête. C’est ce qui fait un instant écarquiller ses yeux bleus, laissant échapper un soupir tremblant à la fois de surprise, mais aussi d’espoir… Tout ce qu’il fallait, c’était piquer son doigt avec une aiguille à coudre. Un sacrifice que le soldat pourrait prendre sans hésitation, tant le désespoir l’avait entre ses griffes.

Sans perdre un instant, aussitôt que Summer montrait qu’il lui fallait quelques accessoires en plus pour son rituel, Artyom se dépêche pour lui récupérer pile ce qu’il faut, son meilleur briquet les bougies, ses plus jolis papiers et crayons pour elle- et la lumière est vite coupée de toutes les sources possibles, laissant la salle être illuminée de lumières tamisées et plus douces pour eux.

Bien sûr, ce rituel et ce qu’elle expliquait… c’était encore confus pour le militaire, bien qu’il n’avait aucune hésitation lorsqu’il devait faire quelque chose pour la jeune fille- mais il faut attendre au moins que tout soit à peu près prêt et que sa tête lui fait un peu moins mal pour communiquer avec.

“Quel genre de rituel est-ce ? Est-ce que… est-ce que ça te fera mal ? Je ne veux pas que cela te fasse souffrir juste pour m’aider, cela serait cruel.

Mais… mais si on le fait. Mâ tête, mon cœur, mes émotions… est-ce que je pourrais enfin arrêter d’avoir mal ? Est-ce que je pourrais enfin revenir voir tout le monde sans avoir mal ? Revoir Cassandre ou Volodya ou Lumi… Rin et Ilya… ?”

C’était ce qui comptait le plus à ses yeux- que Summer ne soufre pas à sa place, et qu’il puisse enfin de nouveau revoir ses camarades et amour sans à souffrir ou à les faire souffrir de son isolement.

Il était prêt à tout pour cela, mais son envie de protéger la jeune fille était plus importante que son propre bien.