Ses premiers souvenirs remontent aux laboratoires. Qui sont ses parents ? A-t-elle été abandonnée, ou bien sont-ils morts ? On se doute qu'elle est orpheline, puisque personne ne l'a jamais réclamée. Impossible de remonter la trace de ses géniteurs, de toute façon elle n'en a pas l'envie. Si elle n'a pas de parents, c'est certainement parce qu'elle était indigne d'eux, cette enfant fragile de naissance. Physiquement, la jeune fille a toujours été chétive, maigre, comme si elle risquait de se briser au moindre choc. Heureusement qu'aucune famille n'a eu à subir sa fragilité, c'est certainement mieux ainsi. Aujourd'hui elle en a une, de famille, elle a des sœurs, et ça lui suffit largement. Qui est-elle pour en demander plus ? Rien, un échec, voilà tout ce qu'elle représente.

Il n'y a donc rien dans son esprit avant le projet Nebulak, qui lui semblait au départ une bonne opportunité de réussir quelque chose dans la vie. Elle allait devenir quelqu'un d'important grâce à ça, tout comme ses sœurs plus âgées. C025 n'a jamais demandé grand-chose, surtout pas d'être aimée, il n'y avait pas de place pour les sentiments dans les laboratoires. C'est la première chose qu'elle a apprise : refouler ses sentiments. Il ne fallait pas pleurer, pas crier lors des expériences. C'était ainsi plus agréable pour les scientifiques. Si ça ne leur faisait ni chaud, ni froid, ils eurent la chance d'avoir en elle un cobaye particulièrement volontaire. Le matricule C025 n'a jamais cherché à se débattre ou fuir, où serait-elle allée de toute façon ? Les laboratoires sont tout ce qu'elle connu dans l'enfance.

On lui a toujours présenté la Tsarine comme une mère, une figure maternelle à vénérer. Si la gamine hochait la tête, et acceptait de l'appeler maman devant les scientifiques pour leur faire plaisir, elle n'y adhérait pas réellement. Parce qu'elle ne se considérait pas digne d'avoir une telle personne en tant que mère. Genya aurait sûrement détesté l'enfant faible et fragile qu'elle était, alors il lui était impossible de voir la tsarine ainsi. La respecter cependant ? Oui, C025 a toute sa vie fait preuve de respect envers elle, puisque toute sa vie a tourné autour de l'idée de servir cette personne. On lui dit qu'un jour, elle sera aussi forte que les autres.

Cependant, au fur et à mesure des tests qui sont effectués, la petite n'obtient aucun don. Les années passent sans qu'elle ne devienne comme ses sœurs les plus chanceuses. Celles qui représentent aujourd'hui la fameuse Garde Obsidienne. Tous les jours, on lui injecte des produits, et elle souffre de ces injections, encaissant la douleur comme une fierté. Cependant, il faut finalement se rendre à l'évidence : C025 est un échec sur toute la ligne. Aucun donc acquis, une fragilité physique toujours présente, et, pire que tout, ses jambes presque inutilisables. Oh elle peut encore les bouger un peu, mais chaque mouvement se fait au prix d'une terrible souffrance. Les expériences pour soigner cette tare ne font qu'empirer les choses, on comprend enfin qu'il n'y a rien à tirer de ce sujet.

Elle aurait du mourir. Elle le sait. Les échecs ne sont pas faits pour continuer à vivre. Alors pourquoi en a-t-elle eu le droit ? Pourquoi sa grande sœur s'est-elle embêtée avec une faible comme elle ? Anastasia l'a sauvée, lui a même offert le plus beau cadeau au monde : un nom. Sortie de ces maudits laboratoires, la jeune fille n'était plus un matricule, mais une personne. Désormais, elle était Nastia. Son aînée se rend-elle compte à quel point elle lui est reconnaissante ? C'est la raison pour laquelle elle tait sa jalousie envers elle, parce qu'elle n'en a pas le droit. Mais Ani a acquis un don, Ani est une réussite du projet, contrairement à l'adolescente. En plus de pouvoir marcher. Marcher, sans avoir les muscles qui se déchirent au moindre pas. Oui, Nastia est jalouse du monde entier qui n'est pas en fauteuil.

Mais elle se tait, comme elle l'a toujours fait. Réprime ses émotions, et fait marcher son intellect. Si tôt libérée des laboratoires, la jeune fille a émis le souhait d'apprendre. D'apprendre tout ce qu'il était possible, grâce à une mémoire impressionnante. A défaut d'avoir un don, elle a un esprit vif, et s'efforce de se comporter en adulte. Très mature pour une adolescente de son âge. Si elle n'avait pas cette étiquette d'échec, sûrement aurait-on remarqué sa précocité dans de nombreux domaines. Elle veut rendre sa sœur fière, lui être utile, Nastia faisant tout dans cet unique but. C'est qu'à défaut d'avoir des jambes fonctionnelles, son cerveau, lui, l'est parfaitement. Diriger la Garde Obsidienne est une lourde tâche, donc elle s'efforce d'épauler Ani de son mieux.

Bien qu'elle fasse tout pour paraître forte, son esprit est en réalité aussi fragile que son corps. Un médecin étudiant son cas la dirait sans doute atteinte de mélancolie, de tristesse. C'est qu'elle regarde le monde avec de l'envie au fond des yeux. Et manque cruellement de confiance en sa propre personne, vis à vis de ce même monde. La pauvre Nastia s'est vu répété son état d'échec, elle ne se voit plus qu'ainsi. Elle essaie de se rattraper tant bien que mal, tout en se persuadant qu'on se porterait mieux sans elle. Petite demoiselle effacée, qui jamais n'impose sa présence plus que nécessaire. Malgré le fait qu'on puisse difficilement la rater, l'adolescente est une ombre parcourant les couloirs du Palais Pourpre.

Au moins n'est-elle pas totalement seule pour affronter la vie qu'on lui a offerte. Il y a ses sœurs bien sûr, Anastasia à la tête de celles-ci. Mais également une douce correspondance qu'elle entretient avec l'un des laborantins. Probablement une des rares choses apportant du baume à son cœur. Feliks a son âge, et de ses souvenirs, il était certainement le seul dans les laboratoires à faire preuve de gentillesse envers elle. C'était pourtant contraire à tout ce que les autres scientifiques disaient. Nastia n'a jamais avoué à quel point ça l'avait touchée, et que ça avait empêché son cœur de devenir complètement froid. Désormais ce sont des lettres qui les maintiennent en contact, ainsi que les rares visites du garçon à Stolista.

Sa grande sœur, Ani, lui a déjà beaucoup donné en la sauvant. Si Nastia ne comprend toujours pas la raison derrière cela, elle lui est reconnaissante pour ce cadeau. Et pour les autres. Anastasia semble aimer lui offrir des choses, comme ce magnifique arcanin qu'elle a un jour sorti d'une pokeball, en disant que c'était pour elle. En manque de chaleur, la jeune fille a vite adopté cette grosse peluche, qui en plus lui permet de remarcher, d'une certaine façon. Toujours plus confortable que le maudit fauteuil dans lequel elle est coincé, avec tous les soucis que ça apporte. A croire que sa santé n'était pas assez fragile, il fallait en plus lui ajouter ces problèmes...

Et qui s'en soucie réellement ? De cette adolescente qui souffre en silence. Personne ne vient la consoler le soir quand elle pleure. Personne n'est là pour faire taire toutes les mauvaises pensées. Il faut avouer, malgré sa gratitude envers Ani, parfois, la petite Nastia est déjà bien fatiguée de la vie.