Igor n'en a pas voulu à son fils pour son renvoi temporaire de l'académie. Est-ce que ça veut dire que Vania s'est pardonné de l'avoir mis dans de beaux draps ? Certainement pas ! Qu'il soit persuadé ou non que son père est secrètement déçu ou que sa culpabilité ne vienne que de lui, le résultat est le même.
Il refuse de se prélasser pendant ces deux semaines de "temps libre". Il révise comme un dingue, multiplie les corvées dans la maison et a même tenté de cuisiner pour son père.

Il en a retenu la leçon qu'il ne serait jamais cuisinier professionnel.

Et pire encore, l'anniversaire du paternel approche. Une autre occasion de se faire bien voir pour Vania... ou de le décevoir encore plus. Elle lui manque, l'époque où il pouvait faire un dessin moche ou un collier de nouilles pour le rendre heureux. Il est trop grand pour ce genre de choses, désormais, mais il est aussi trop jeune pour savoir ce qui intéresse un adulte.
De quoi il pourrait bien avoir envie ? Une montre de luxe ? Un nouveau flingue ? Une voiture ? Que des choses que l'adolescent ne peut pas vraiment offrir avec ses maigres économies. Il réfléchit, réfléchit depuis des jours, tournant en rond dans les couloirs en espérant que l'inspiration lui vienne comme un éclair. Mais la seule chose qui finit par le frapper pendant son errance... c'est un gros Oratoria.

L'otarie plaque Vania au sol, qui ne comprend pas ce qu'il se passe. Personne ne possède ce Pokémon, ici. Mais ça l'étonnerait qu'une créature aquatique se soit aventurée dans un bâtiment sans aucune raison comme un Mimigal. Heureusement, la sirène n'est pas agressive. Elle fait un gros câlin au gamin, qui ne comprend la situation que lorsqu'il voit Agrippina arriver au galop.
Il ne manquait plus que ça... elle sait déjà sûrement pour sa petite bêtise, mais il n'avait pas envie qu'elle le voit trainer dans le manoir un lundi après-midi comme un vulgaire chômeur. À défaut de pouvoir avoir son père rien que pour lui, il aimerait pouvoir avoir le respect de sa bien-aimée... dans cette situation, ça s'avère compliqué.

Il espère que cette histoire d'Oratoria un peu trop câlin aura le mérite de ne pas lui faire aborder le sujet du moment. Après tout, vu son expression désolée, elle ne va pas tarder à s'expliquer.

Sans surprise, Agrippina s'excuse. Il lui marmonne quelque chose du genre "c'est rien", puisque de toute façon, il avait bien compris par lui-même que la dénommée Tsunami n'était qu'une gentille créature qui a le malheur de se prendre pour un Ponchiot malgré une bonne cinquantaine de kilos.
L'Oratoria finit par le lâcher, avec un air tout penaud. Elle n'a pas les mots pour demander pardon, mais son regard en dit long. Vania lui gratte le menton avec un sourire, un sourire qui disparait vite quand l'albinos lui explique la raison de sa venue, et surtout celle de Tsunami.

C'est un cadeau pour son père.
Merde.

Il aurait dû s'en douter, qu'elle trouverait un super cadeau pour lui. Elle est adulte, elle est riche, elle peut lui offrir ce qu'elle veut ! Il s'en veut de ne pas avoir eu l'idée à sa place... un Pokémon câlin et un peu bêbête, c'est exactement ce dont papa a besoin dans les jours difficiles, pour lui remonter le moral. Il est déjà bien amer pour plus d'une raison, mais la question de la jeune femme vient achever le peu de bonne humeur qu'il lui restait.

Il se trouve que non, grogne l'adolescent, plus envers lui-même qu'envers Agrippina, je dois vraiment être un mauvais fils mais je trouve juste pas ce qui pourrait lui plaire... c'était une bonne idée le Pokémon mais bon... visiblement c'est déjà pris.

Il est partagé... il ne veut pas qu'Agrippina l'aide. Il veut trouver son idée tout seul, d'autant qu'il se sent plus que jamais en compétition avec elle. Mais force est de constater que son cerveau est aussi sec et stérile que la toundra bolshoï. Il va finir par se scalper tout seul à force de s'arracher les cheveux sur le sujet.

Les paroles d'Agrippina sont peut-être sincères, mais Vania n'arrive pas à les croire. Même si c'était vrai, même s'il était la plus grande fierté de son père, lui ne s'estime pas assez digne de la mériter, cette fameuse fierté. Il veut en être digne, par sa force d'esprit, par ses actions, même par ses résultats scolaire s'il faut...

Bon, pour ce dernier cas, ça risque d'être compliqué... son dossier n'est plus vierge et les profs les plus patriotes l'ont dans le collimateur désormais.

Il préfère rester silencieux sur le sujet. L'albinos a probablement plein d'autres arguments positifs et rose bonbon à lui sortir à chaque idée autodénigrante qui pourrait lui venir, et il ne veut pas se lancer là-dedans. Il n'aime pas la façon dont ses joues rosissent ou dont son cœur bondit quand on lui fait des compliments auxquels il ne croit pas.

Il accepte néanmoins son invitation à goûter. Peut-être qu'il réfléchira mieux une fois le ventre bien rempli. Cette brave Isabella acquiesce en silence à la demande d'Agrippina, tandis que cette dernière traine presque Vania derrière elle comme une poupée de chiffon. Elle a plus de force qu'il n'y parait, celle-là. Ou alors c'est juste Vania qui est encore trop petit et léger à son goût.

Il fait bon à l'extérieur. Ni trop chaud, ni trop froid. Le soleil est de la partie mais une petite brise printanière les protège de la chaleur.
Vania écoute attentivement, même s'il n'en donne pas l'impression. Il n'a jamais aimé regarder les gens directement quand on lui parle, mais avec son moral actuel, il préfère carrément regarder ses pieds. Il caresse la tête de l'Oratoria, qui le suit toujours comme un petit chien, ce qui lui permet de se détendre un peu. Ses dents et ses poings serrés témoignent de son anxiété.

Avant qu'il ne puisse répondre, Isabella arrive avec leur petit en-cas. Il murmure un petit "merci" si faible qu'elle ne l'a probablement pas entendu, mais la vieille femme le connait par cœur, elle peut voir son sourire, aussi faible et timide soit-il.

Il a un mauvais pressentiment quand l'albinos interpelle la domestique, et voit vite ses doutes confirmés. Il meurt de honte, intérieurement. Il n'a pas envie d'entendre encore et encore la même chose... l'existence seule de Vania est peut-être un assez beau cadeau pour Igor, mais est-ce que c'est vraiment important si l'adolescent a plus l'impression d'être un boulet ?
Agrippina remue le couteau dans la plaie, semblant très fière de ce qu'elle pense avoir démontré. Toujours avec le regard fuyant, le jeune garçon grommelle.

Ça fait dix ans qu'on vit ensemble, je ne peux pas juste me contenter d'exister à chaque anniversaire. Je veux lui offrir un vrai cadeau, pas juste des mots sur du papier...

Vania est peut-être trop matérialiste... et c'est bien frustrant, puisqu'il sait pertinemment que son père ne l'est pas.

Et puis tu dois savoir... toute la cour est au courant pour ce qu'il s'est passé à l'académie. Je dois me rattraper... je ne regrette pas de m'être battu, mais il ne méritait pas d'en souffrir à ma place.

Il aurait préféré subir les conséquences lui-même. Il aurait préféré être jeté en prison par la tsarine elle-même, plutôt que de voir son paternel devenir une blague aux yeux de tous.

Bien qu'elle n'en parle pas comme d'une bonne chose, Vania se sent sourire un peu quand elle le compare avec son père. Certes, pas pour ses qualités, mais pour ses défauts... mais ça laisse une part d'espoir au jeune garçon, celle que s'ils sont plus similaire qu'il ne le croit, il pourra gagner ses points forts en grandissant.

Igor aussi panique à chaque anniversaire, c'est du moins ce que lui dit Agrippina. Pourtant, il lui offre toujours un superbe cadeau. Il dirait bien que passer un anniversaire avec lui est déjà assez, mais ça donnerait raison à la jeune femme. Juste parce qu'il sait se contenter de la présence de ceux qu'il aime ne veut pas dire qu'il peut se permettre de ne faire aucun effort.

Et voilà qu'elle lui reparle de cette idée de lettre, d'ailleurs. Il n'est toujours pas satisfait par cette option. Envoyer une lettre pour parler de ses sentiments ? Il n'est pas une collégienne qui enverrait un petit mot à son crush ! Et puis merde, quoi. Son père est Igor Belinsky, pas un quelconque péquenaud. Rien que pour ça, il ne peut pas se contenter de quelques mots sur du papier.
Agrippina pense que ça les aidera à se rapprocher, à éviter de s'éloigner, comme elle avec un de ses proches, à en juger par ses paroles. Il n'ose pas la contredire à cause de son ton sérieux, mais boude en silence. Un silence qui s'installe d'ailleurs entre le duo, entrecoupé de bruits de grignotage.

Quand Vania lance un regard curieux à la jeune femme, il constate qu'elle tire la tête de la personne qui n'ose pas pleurer mais qui est à un poil de devenir une fontaine. Il n'ose pas l'interpeler ou lui demander si ça ne va pas, de peur de ne pas savoir comment réagir si elle fondait effectivement en larmes... heureusement, son regard suffit à faire comprendre ce qu'il pense à Agrippina, qui change vite d'attitude. Elle soupire et revêt de nouveau son sourire, un sourire peu convaincant mais Vania préfère l'ignorer à défaut d'avoir les bons mots.

Elle insiste et insiste... et bien qu'il se doute qu'elle ne veut que son bien, qu'elle pense sincèrement ce qu'il raconte, l'adolescent finit par soupirer et grogner par frustration.

Une lettre je peux écrire ça n'importe quand. Je peux lui dire ce que je pense quand je veux. C'est pas un cadeau d'anniversaire. Pas plus que si je lui disais bonjour. Il ne sera peut-être pas déçu mais j'aurais honte de moi-même.

Et pourtant, aucune autre idée ne lui vient. Si seulement il pouvait trouver le cadeau parfait par magie...