notes

Cela avait pris son temps mais Nina avait finit par user les nerfs de sa fille à force de la harceler par rapport à ses blessures au bras. Comme si une entaille de cette gravité couplée d’une fracture segmentaire allait se guérir du jour au lendemain. Non, non, bien sûr, il fallait qu’Agrippina redevienne vite l’adorable petite poupée qu’elle était et de par ce fait, elle avait été forcée de se rendre chez le médecin de la cour impériale pour faire vérifier cette blessure qui guérissait à son rythme.

L’entretient avait été bref, quelques mots expliquant les circonstances de l’accident, un dossier de l’hôpital de Thunduruska prouvant ses dires et Agrippina avait serré les dents quand le médecin avait tenu à l’ausculté par lui-même. Il avait tenté de la rassurer : pas de piqure ni rien de ce genre mais une simple auscultation était assez pour éprouver les nerfs de la jeune femme. Les bandages avaient étaient retirés et l’homme avait inspecté la plaie avec… Avec surprise.

Il avait demandé confirmation de la date où s’était produit l’incident, avait emmené la jeune femme faire une radio et… Tout allait très bien, pas de quoi s’affoler donc. Enfin, si, quelque chose clochait tout de même, la guérison était allée vite, trop vite. La jeune femme ne comprenait qu’à moitié ce que le toubib essayait de lui dire car un sentiment de malaise s’était installé dans sa poitrine. Cela ne pouvait pas avoir quelque chose à faire avec l’horrible substance qu’on lui avait injecté dans les veines pas vrai ?

Elle se souvenait clairement de cet homme avec son sourire de taré et de son assistant aux cheveux verts menthe. Il l’avait qualifié de « toile vierge qui n’attendait que d’être colorée ». L’avait-elle été ? Non, ça n’avait rien à voir, elle devait juste avoir un bon métabolisme puis c’est tout. Rien de plus, rien de moins. Pourtant, le sentiment d’être une poupée à la merci du médecin devant elle ne l’avait pas quitté malgré les injonctions de ce dernier à reprendre son calme. Rien de grave, disait-il, c’était juste inhabituel.

Finalement, elle était sortie tremblante du cabinet médical, sans bras en écharpe puisque la fracture était ressoudée et que la plaie semblait en bonne voie de cicatrisation. Pas de mouvement brusque, c’est tout. Nina était ravie et avait prit le visage de sa fille entre ses mains pour la couvrir de compliments. Puis la phrase était tombée.

« Je savais qu’ils avaient fait de toi quelqu’un de spécial ! »

Agrippina avait reculé vivement, saisissant les mains répugnantes de sa génitrice pour mieux les repousser. Elle l’avait regarder droit dans les yeux d’un air dégouté.

« Alors… Vous saviez… »

Sans un mot de plus, elle était partie en courant, les larmes aux yeux. C’était con, complètement con, de la part de Nina il n’y avait rien à attendre et pourtant… Elle se sentait tout de même trahie, profondément abandonnée et utilisée comme la prostituée qu’elle avait été tout au long de sa détention à Kolowal. Sans prendre gare à l’étiquette, elle avait surgit dans le bureau d’Igor comme une véritable furie, à son grand soulagement, il était là. Plutôt surpris d’ailleurs, mais sa surprise se transforma vite en inquiétude.

« Agrisha, qu’est-ce que… »

Pas le temps d’en dire plus qu’elle se précipita dans ses bras pour éclater en sanglots incontrôlables. Si Igor avait eu quelque chose à faire à ce moment précis de la journée, il se résigna rapidement à abandonner ses obligations pour rendre son étreinte à la jeune femme. Il était déboussolé et finit par demander d’un air aussi perdu qu’anxieux.

« Quelque chose de grave s’est passé ? Dis-moi tout, si tu as besoin de mon aide, je-… »

Il n’eut pas le temps de continuer sa phrase qu’un éclat de voix vint le stopper, le faire sursauter même, malgré sa carrure et son entrainement militaire. Cette voix bouleversée, difficile à croire qu’elle appartenait à Agrippina, la jeune femme qui se plaisait à jouer les nunuches mais qui cachait une battante prête à tout pour s’en sortir.

« Je suis un monstre, Igoriok, un putain de monstre ! Ils ont fait de moi une… Une chose… Et ma mère, elle le savait ! »

Le Capitaine de la Garde Impériale serra des dents et son visage se déforma en un bref rictus de colère. Cette femme, Nina Aliokhine, elle allait avoir de ses nouvelles très prochainement. Mais en attendant, la jeune femme avait besoin de lui, aussi reprit-il rapidement un air doux, légèrement triste. Il était rare qu’il fasse preuve d’autant d’émotivité, mais la situation l’exigeait.

« Tu n’es pas un monstre, Agrisha… Peu importe ce qu’ils t’ont fait, tu reste une femme formidable. Une femme qui a survécu à l’enfer et je t’admire profondément pour cela. Alors s’il-te-plaît… Ne dis plus de telles horreurs sur toi-même. »

En effet, ce n’était pas la première fois qu’elle se dénigrait profondément auprès de lui. Il avait beau la rassurer comme il pouvait, elle se sentait toujours sale, dégueulasse même et maintenant monstrueuse. Mais elle se laissa aller au baiser qu’ils échangèrent, comme affamée de tendresse. Juste pour quelques instants, elle avait besoin d’oublier ce qu’il s’était passé à Kolowal.

Juste un instant, elle voulait se sentir comme une femme normale, le genre de femme à pouvoir garder la tête haute en parlant de son passé…