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Agrippina s’est toujours demandé à quoi ressemblait Cyanure, elle n’a jamais rencontré de Rapion de sa vie après tout. Mais son désir est réprimé par une peur profonde : et si la petite décidait de la préférer à sa sœur ? Agrippina est persuadée qu’Anushka n’est pas méchante mais elle ne sait pas montrer son affection à ses pokémons, c’est bien dommage car ce sont les seuls êtres à qui on peut faire confiance, ils n’ont pas d’arrière-pensées dégoutantes comme les humains, eux.

La rencontre s’est faite naturellement au final. Quand Agrippina se sent seule, malheureuse et misérable, elle réunit ses belles poupées et ses pokémons pour faire une petite tea party. C’est enfantin, stupide et immature mais ça lui fait du bien. Elle se plait même parfois à imaginer que la poupée qui lui fait face est Anushka et qu’elles peuvent se parler comme de vrais sœurs qu’une mère indigne n’aurait pas monté l’une contre l’autre. Parler à des poupées est toujours mieux que de parler à Genya également, la Tsarine n’a jamais fait preuve de douceur ou d’affection envers sa demoiselle de compagnie.

Et l’affection, la vraie, Agrippina en manque cruellement.

Millicent aime bien le goût du thé noir aux baies mais ne touche à aucun des petits poffins faits-maisons que Camellia et Dahlia dévorent pourtant avec appétit. Peut-être qu’elle n’aime pas le sucré ? Elle en préparera de différentes saveurs à l’avenir pour vérifier. En attendant, voilà qui discute dans le vide, se plaint de la cour et des gens qui la compose, se permets d’insulter la Tsarine de Limonde sans humour avec la bouche cousu en sourire inversé. Oh, si elle était plus vulgaire, elle dirait qu’elle a un balais logé dans le fondement.

Puis elle pense à une personne en particulier et un sourire se dessine sur ses lèvres. Elle finit par murmurer quelques mots à la poupée qui lui fait face.

« Oh, Ania, je crois que je suis amoureuse ! Oui, de l’amour, pas de la luxure ! » Soupire-t-elle d’un air rêveur tout en sachant que son affection est à sens unique, comme d’accoutumé. « Oh, je vois bien que tu meurs d’envie de savoir de qui il s’agit alors laisses-moi te… Oh. »

Sa confidence se voit interrompue par la venue d’une nouvelle invitée. Elle penche la tête sur le coté et observe sans rien dire le type insecte. Puis la connexion se fait dans sa tête et elle s’exclame d’un air joyeux.

« Oh, Cyanure ! Je suis ravie de te rencontrer, bienvenue dans mon petit endroit secret. Veux-tu prendre le thé avec nous ? » Evidemment, Cyanure ne peut pas parler alors Agrippina invente des paroles dans sa tête. « Oui, bien sûr, ma chère. Après cela, il faudra retourner travailler avec Ania, la vraie Ania. »

Elle permets donc à la petite Rapion de prendre place aux cotés de Dahlia qui la renifle avec curiosité. L’albinos joint ses mains ensemble et continue joyeusement de raconter ses ragots. La confession à la poupée représentant sa très chère sœur viendra plus tard, il serait malvenue de se confier devant Cyanure. Puis de toute façon, une nouvelle invitée se présente bien vite. Un sourire ravi se dessine sur les lèvres de la jeune femme mais pourtant, elle ne peut s’adresser à sa sœur – la vraie, pas la poupée – sans bredouiller.

Comme si elle avait peur de dire une terrible bêtise qui enterrerait pour de bon toute chance de réconciliation.

« B-bonjour, Ania ! C’est un plaisir de… De… Enfin, oui… Cyanure est une charmante demoiselle, nous avons discuté d’un peu de tout. Elle… Elle devait te rejoindre une fois cette petite séance de thé terminée mais je… J’imagine que tu as besoin d’elle ? »

Voilà que la peur la saisit soudain aux tripes. Et si ce qu’elle craignait était en train d’arriver ? Et si Cyanure la choisissait elle au lieu de sa sœur ? Ce serait injuste ! Fort heureusement, son visage ne trahit pas ses sentiments. Elle se réfugie encore une fois dans son rôle d’idiote heureuse. Il faut bien l’être pour faire une tea party avec des poupées et des pokémons, non ?

« Mère n’est pas là… » Souffle-t-elle avec hésitation avant de prendre une grande inspiration et de demander d’un air tout à fait enjoué. « Nous pourrions prendre le thé ensemble, qu’en dis-tu ? Nous pourrions faire un « non-anniversaire », même, comme dans les livres d’Olsen ! »

Un petit sourire timide, elle espère qu’Anushka accepte ce drôle de non-anniversaire au nom de tous les anniversaires qu’elles n’ont pas pu fêter ensemble.

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Agrippina manque de grimacer lorsque sa sœur lui réponds. Mince, évidemment qu’elle ne voudrait pas. Qui voudrait d’une timbrée comme elle après tout ? Une idiote qui se sent obligée de remplacer sa sœur par une poupée pour pouvoir dire à ce truc en porcelaine tout ce qu’elle aimerait dire à la Anushka en chair et en os. Enfin, la déception a dû se lire dans ses yeux car la brune vient tout de même s’attabler.

Agrippina s’empresse de se lever pour aller la servir en thé et en poffins. Bon, l’étiquette voudrait que ce soit un domestique qui s’en occupe mais les poupées de porcelaine ne bougeront pas pour faire ce travail. Puis ça ne gène pas l’albinos, ça lui fait plaisir, même. Elle esquisse un petit sourire avant de poser la tasse toute chaude d’un thé tout juste sorti de son samovar devant Anushka.

« Le thé est un peu fort, je l’ai accompagné de poffins sucrés pour équilibrer les saveurs. » Souffle-t-elle timidement avant d’ajouter encore plus timidement. «  On dirait que Cyanure aime beaucoup les poffins sucrés, je pourrais t’en donner quelques-uns si tu veux, elle n’aura pas besoin de venir me voir pour en manger, comme ça. »

Cette dernière phrase sonne comme un « désolé » en message codé. Agrippina s’en veut toujours que Cyanure soit venue la voir. Même si c’était par pure curiosité ou n’importe quelle autre raison. La Rapion est le pokémon d’Anushka, pas le sien. C’est à elle qu’elle doit tenir compagnie et à personne d’autre. Agrippina sait très bien que sa sœur se sent aussi seule qu’elle, peut-être plus. Mais elle n’en montre rien pour paraître forte, parce que cette ordure de génitrice ne lui permettrait pas d’être faible. Ça c’est le rôle de l’albinos, un rôle qui l’étouffe de plus en plus.

Alors tandis qu’elle retourne s’asseoir à sa place, elle finit par lancer nonchalamment.

« Au diable Mère et ses sottises ! Si elle pouvait me protéger de l’oxygène lui-même, elle m’empêcherait de respirer. » Elle soupire puis lance amèrement. « Je la déteste. »

Puis elle s’installe avec élégance et étiquette à sa place, comme un automate bien réglé puis vient siroter son thé avec des gestes finement calculés. L’étiquette est lourde à porter et chaque séance de thé de la sorte l’aident à s’entrainer en la matière. Après un moment de silence qui ne plait pas vraiment à Agrippina, elle finit par poser sa tasse et lâcher quelques paroles qu’elle veut assurées mais qui sonnent toujours aussi hésitantes.

« Je racontais à mes invités les déboires de notre chère Tsarine. Cela me plairait de les partager avec toi, je dois l’admettre. Être écoutée par une personne, une vraie personne, me soulagerait beaucoup. Normalement, je n’ai pas le droit de le faire au risque de voir ma tête se détacher du reste de mon corps mais… Peu importe »

Et la voilà a déballer tous les défauts de la Tsarine, son manque de patience, sa mémoire qui se fait vieille, son obsession pour son apparence et son balais dans le fondement toujours bien enfoncé. Oh, elle vide son sac et n’est pas tendre. Elle s’apprête même à parler des punitions corporelles qu’elle lui inflige parfois pour une moindre faute mais se stoppe à temps. Anushka n’a pas besoin de savoir ça…

« Enfin, je parle trop de moi… » Dit-elle finalement avec embarras. « Parles-moi de ton quotidien, comment fais-tu pour supporter ton propre fardeau ? »

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En entendant sa jumelle « prendre la défense » de la Tsarine, Agrippina manque de grimacer une nouvelle fois mais son visage garde son sourire de Joconde. Elle se contente de se couvrir la bouche pour laisser échapper un petit rire qui se veut plaisantin. Si Anushka connaissait le vrai visage de la souveraine, peut-être qu’elle serait moins enclin à la considérer comme intouchable niveau critique.

Enfin, son rire et son sourire s’évanouissent bien vite à la suite du discours de sa sœur, elle reste silencieuse et attends la fin des paroles d’Anushka pour prendre quelques gorgées de thé. Elle ne prends même plus la peine de qualifier ses émotions derrière un quelconque masque d’idiotie ou de naïveté joyeuse. Son visage est tellement sérieux qu’il ferait peur à quiconque ne connaissant que son coté enfantin.

« Ne dis pas ce genre de sottises, Ania. » Siffle-t-elle avec une colère contenue. « Je m’abaisse chaque jour un peu plus devant notre souveraine en priant Arkæ qu’elle accepte ma requête de briser ces stupides fiançailles ! »

Oh, elle voit bien l’air outré de sa sœur et le sel qu’elle risque de déverser mais elle la stoppe d’un signe de main ferme, presque autoritaire.

« Cet homme… Ce Groret, il ne posera pas les mains sur toi, je ne le permettrais pas. Je refuse d’échouer une fois de plus. Si je dois le tuer de mes propres mains, je n’hésiterais pas… » Puis elle ajoute avec amertume. « Puis je ne peux qu’imaginer avec délice notre chère matrice se morfondre sur mon sort, ça m’amuse de l’imaginer s’humilier devant un juge pour alléger ma peine. Mais… »

Son regard se perds dans le vide pendant qu’elle tourne sa petite cuillère d’argent dans sa tasse de porcelaine. Un étrange sourire se dessine sur son visage, un sourire qui ne lui va pas vraiment. Pas un sourire idiot ou heureux, un narquois, méchamment moqueur, presque sadique. Elle souffle du nez tant la pensée qui l’occupe semble la distraire.

« …Si elle survit, cette garce trouvera un moyen de te faire du mal… Non, je ne le permettrais pas non-plus. » Ses yeux lilas viennent croiser ceux rubis de sa jumelle et la fixer d’un regard étrange, dérangeant. « Dis-moi, quel poison pourrait terrasser Nina Aliokhine ? J’ignores jusqu’où s’étends sa mithridatisation… Quoiqu’un coup de poignard pourrait tout aussi bien faire l’affaire. En plein cœur même… Que de symbolisme. »

Nouveau silence, elle prends quelques gorgées de son thé et reprends son air innocent et heureux, voir même complètement niais. Sa main vient remplacer quelques mèches derrière ses oreilles et Dahlia, semblant inquiète pour sa maîtresse, vient lui sauter sur les genoux en piaillant comme un bébé Chacripan. Oh oui, elle n’aime pas voir « cette facette-là » d’Agrippina. Elle sait que ce n’est qu’un masque comme un autre et que comme tous les autres, voir peut-être d’avantage que les autres, il la blesse profondément. Cette haine profonde qu’elle porte à sa génitrice s’accompagne du terrible constat qu’elle n’a jamais réellement été aimé et qu’elle doit accepter d’être abandonnée pour le bien de tous.

Plus facile à dire qu’à faire.

En tous cas, c’est avec une voix guillerette qu’elle conclut son sombre monologue.

« S’il-te-plaît, Ania, ne fait pas comme si tu aimais cet homme. Nous savons toutes les deux que tu ne joues ce rôle que pour satisfaire cette garce qui nous sert de mère. »

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Agrippina est détendue, cela fait longtemps qu’elle voulait faire par de sa haine matricide à sa jumelle. Elle espérait que cela soit un bon terrain d’entente sur lequel elles pourraient enfin se mettre d’accords. Pour ce qui est du fiancé et des nombreuses supplications plus humiliantes les unes que les autres qu’elle a dû faire auprès de Genya sans résultat, elle ne s’attendait pas à être cru. Pas de déception de ce côté donc.

Mais elle ne peut s’empêcher un soupir lourd de lassitude lorsqu’Anushka lui déblatère cette histoire d’ingratitude en tant que petite chouchoute. Son sourire se crispe légèrement quand Anushka affirme que sa sœur ment quand elle prétends se soucier d’elle. Là, maintenant, elle a envie de lui dire tout, de lui dire à quel point elle s’est humilié toute sa vie pour elle, qu’elle a salit mille et mille fois son corps pour que sa jumelle ait un quelconque espoir de survie. Mais elle ne dit rien, par pudeur et par honte.

Elle se contente juste de finir sa tasse de thé calmement et de se lever ensuite pour saisir l’une de ses poupées et l’observer attentivement. Un véritable travail d’art, cadeau de son adorable petite maman. Comme tous le reste de cette pièce, la porcelaine, le Samovar orné d’arabesques, même Dahlia… Son sourire prends une légère teinte d’amertume.

« Une poupée, qu’elle soit sur un piédestal ou laissée à même le sol, reste une poupée. » Elle soupire et continue ses paroles métaphoriques dont le sens échappera sans doute à Anushka. « Si la poupée sur le piédestal est toute fissurée et laide, il suffit de cacher ça avec de belles robes et des rubans de soie. Tout le monde croira que c’est une poupée magnifique même si ce n’est qu’une poupée cassée et inutile. Et comme l’impératrice aime les belles poupées, on peut lui donner pour faire bonne figure. »

Elle laisse tomber la poupée par terre dans un geste lasse, le bruit de la porcelaine qui se brise envahit la pièce soudain trop silencieuse. Agrippina jette un regard à sa jumelle et lui adresse son habituel petit sourire d’imbécile heureuse. Cela camoufle la nausée qui la prends soudain et le stress qui monte en flèche à l’idée de dire ce qu’elle va dire. Elle doit prendre sur elle pour continuer de parler car chaque parole est comme une lame de rasoir au travers de sa gorge.

« Tu ne t’es jamais demandé pourquoi certains prisonniers de Kolowal faisaient le travail à ta place ou te cédaient leurs repas de temps en temps, pas vrai ? Je pense que tu as dû mettre ça sur le compte d’une quelconque solidarité entre martyrs, mais tu vois, quand tu enferme des Lougaroc affamés ensemble, ils ne s’aident pas les uns les autres, ils s’entre-dévorent. » Elle baisse la tête vers cette poupée brisée, misérable, avec sa teinte de peau et de robe semblables aux siennes. Elle vient écraser ce visage de porcelaine déjà fissuré d’un coup de talon rageur. « La vérité est que tu n’as jamais fait sans mon aide. Mais mon aide reste ce qu’elle est : pitoyable. Si j’avais été à la hauteur, tu serais heureuse aujourd’hui. »

Elle revient s’asseoir après avoir bien piétiner cette poupée qui lui rappelait trop son propre minois de jeune femme stupide et inutile. Puis elle se resserre du thé en silence, cette conversation l’épuise autant qu’elle lui fait du bien, elle avait besoin d’en parler, même si Anushka ne la croira certainement pas.

« Ne me regardes pas comme ça, Ania. » Souffle-t-elle avec une fausse pointe d’amusement. « Même les catins comme moi méritent un minimum de respect. Puis je suis une femme libre et indépendante, il me semble, j’ai le droit d’aimer ou de haïr qui je veux. Et ce, malgré tes directives. »

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Agrippina écoute sans rien dire les paroles confuses de sa jumelle, se disant qu’il lui faudra peut-être plus que deux tasses de thé pour supporter une telle épreuve. Car oui, ça la soulage qu’elles puissent parler librement mais c’est extrêmement éprouvant pour elle. C’est donc avec un sourire crispé qu’elle réponds à Anushka, elle se dégoute elle-même.

« C’est pourtant ainsi que l’on nomme les femmes qui vendent leur corps pour survivre, non ? » Elle marque une pause, réfléchissant à ses prochaines paroles puis ajoute d’un air tout à fait sincère, décidée à ne rien cacher. « Je sais que c’est à sens unique mais tu es ma sœur chérie et je n’hésiterais pas à me sacrifier pour toi si le besoin se faisait sentir. Ne me regarde pas comme ça, ce n’est pas comme si j’étais très utile de base. Même quand j’essayes de t’aider, j’échoue. Je suis un parasite qui a besoin de s’accrocher aux autres pour survivre, que tu me déteste est purement naturel. »

Dahlia semble protester d’un paillement tandis que Millicent et Camellia viennent la rejoindre comme pour apaiser une peine imaginaire. Enfin, peut-être qu’elle ressent cette peine sans s’en rendre compte. Elle ne sait pas trop ce qu’elle ressent à l’heure actuelle si ce n’est une profonde rancœur contre Nina Aliokhine.

« Mère a tout fait pour que nous nous détestions à l’époque. Je refuse de qualifier cela d’amour maternel. Quand aux autres détenus… Tss, la luxure se passe bien de la tendresse, ils n’en avait aucune envers moi. Tu étais la seule personne que je puisse aimer sans risque car je savais que tes sentiments envers moi étaient sincères, même si il s’agissait de haine et de jalousie. C’est tout. »

Elle baisse les yeux et si elle ne contrôlait pas ses sentiments par habitude, ses mirettes seraient sans doute embuées de larmes mais non. Elle semble perdue dans ses pensées, dans un passé qui continue de la hanter. Un passé qui fait tout foirer, même aujourd’hui. Cet homme qu’elle aime sincèrement, elle ne peut s’empêcher de penser qu’une fois qu’il l’aura mise dans son lit, il la délaissera comme la poupée inutile qu’elle est.

Agrippina est cassée, comme la poupée au visage écrasée gisant encore au sol. Ce constat est harassant psychologiquement. Elle a l’impression d’avoir vécu mille ans alors qu’elle n’en a que vingt-cinq.

« Cette nuit-là, je voulais vraiment mourir, tu sais. »

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C'est un petit rire qui réponds tout d’abord au questionnement d’Anushka. Cette question est si absurde qu’elle permets à l’albinos de s’alléger un peu l’esprit. Après avoir bien pouffer de rire, elle se reprends plus sobrement et réponds d’une voix calme.

« Arkæ soit loué, personne ne me demande de telles choses à la cour, surtout pas la Tsarine qui ne connait ni l’amour ni la luxure. » Elle détourne le regard et ajoute d’une voix plus morne. « Mais à Kolowal, c’était différent… »

C’est avec une mélancolie douloureuse qu’elle écoute le souhait qu’avait été celui d’Anushka. C’est gentil de sa part, en quelque sorte. Elle serait morte comme si elle s’endormait sans se réveiller. Mais non, avec tous ses Groret prêt d’elle, elle ne pouvait pas dormir. Trop peur de ce qu’ils pouvaient lui faire, comme toujours. C’est pour ça qu’aujourd’hui, elle dort avec une lame sous son oreiller. N’importe quoi de tranchant, même si ce n’est qu’un bête coupe-papier. Ça l’apaise.

Elle aimerait bien expliquer tout cela à sa sœur mais juge rapidement que c’est inutile. Qu’est-ce que ça apporterait à Anushka de savoir qu’elle a peur en permanence qu’on abuse d’elle de nouveau, comme à l’époque ? Rien. La brune est assez malheureuse comme ça après tout, pas besoin qu’elle porte le malheur de sa sœur jumelle en prime.

Etrangement, la confidence de sa sœur sur sa volonté de vivre, bien cruelle à son égard, lui arrache un sourire des plus francs et des plus joyeux. C’est avec tendresse qu’elle vient caresser Dahlia sur ses genoux, à défaut de pouvoir – ou plutôt d’oser – prendre Anushka dans ses bras.

« Si mon existence te sert au moins à quelque chose, cela me suffit. Je ne demande pas que tu me déteste moins, encore moins que tu m’aime. En fait, dans l’idéal des choses, j’aimerais que tu puisse penser à toi en premier lieu. Tant que Mère sera en vie ou que ton Groret de fiancé te tournera autour, ce sera impossible, je le sais. Mais j’aviserais, je n’ai pas accédé à mon titre de Demoiselle de Compagnie pour me tourner les pouces. »

Oh, elle a bien une multitude de plans en tête mais aucun ne lui semble assez parfait. Cela fait longtemps qu’elle y réfléchit, au point d’avoir peut-être commit une erreur. C’était un jour de crise de colère et elle n’a pas mesuré les conséquences de ses actes, écrire noir sur blanc à Victoria Lanskoï qu’elle voulait un poison auquel personne ne puisse résister n’était pas une bonne idée. Maintenant, elle doit composer avec une Duchesse imbécile qui ne cesse d’augmenter chaque jour le prix de son silence.

Si seulement elle pouvait récupérer cette maudite lettre…

« Hum… Le temps passe trop vite, j’aurais aimé discuter d’avantage avec toi mais je craint que Mère ne puisse revenir sous peu à cette heure-ci. »

Et qui sait quel genre d’excuse elle inventerait pour s’en prendre à cette pauvre Anushka…

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Agrippina sourit tristement une fois de plus, si seulement sa jumelle savait que l’albinos n’était pas aussi adulée qu’elle ne se l’imagine. Mais elle ne dit rien, du moment que la haine d’Anushka à son égard aide à faire vivre cette dernière, tout va bien. Pour sa part, elle se promets d’être toujours présente en cas de besoin, que cela plaise ou non à la brunette. Bien vite, d’ailleurs, cette dernière dois retourner dans ses appartements, laissant l’albinos seule et livrée à elle-même, comme d’habitude.

« Au revoir, Ania, j’espère que nous nous croiserons tout de même à l’avenir… »

Un murmure qui n’a sans doute pas été entendu, ce n’est pas bien grave. Elle se contente de se lever et d’épousseter sa robe, puis de se baisser pour ramasser patiemment les fragments de la poupée brisée. Quand Nina fait son intrusion dans la pièce, elle ne relève même pas la tête et ne la salut même pas, ce qui n’empêche pas sa mère de faire son petit cirque.

« Oh, ma pauvre petite, qu’est-il donc arrivé à cette poupée ? Tu n’es pas blessée, au moins ? »

Agrippina serre les dents en silence et prends sur elle pour répondre de la voix la plus mièvre possible. Il ne s’agirait pas de faire penser à sa mère qu’elle est intelligente et autonome.

« Oh, ce n’est rien, Mère. Je prenais le thé et j’ai bousculé cette pauvre Lisabelle sans le vouloir. J’ignore si elle peut être réparée, hélas. »

Nina hausse les épaules avant de venir presque bousculer sa fille pour ramasser les morceaux de porcelaine brisés à sa place. Comme si l’albinos était une bonne à rien, une petite chose incapable de faire quoique ce soit de ses dix doigts.

« Ne t’en fais pas, je t’en achèterais une plus belle. »

Agrippina ne dit rien mais son cœur le cri. Elle est bien trop grande pour jouer à la poupée, maintenant. Qu’est-ce que cette garce s’imagine ? Ne vois-elle pas ce qui se passe ici ? L’entourage factice que ce créer sa propre fille pour ne pas devenir folle ? Une belle petite prison dorée, oui. Elle se demande comment Anushka peut envier cette sinistre farce.

Elle regarde un instant le débris de porcelaine qu’elle a dans sa main. Ses doigts se crispent dessus et elle se précipite sur sa mère, l’égorge avec d’un coup sec. Puis elle se reprends… Non, Nina est toujours vivante, en train de ramasser les morceaux d’une poupée en miette tandis qu’à force de serrer ce morceau de porcelaine dans sa main, elle s’est ouvert la paume dessus. Nina ne perds pas son temps pour le remarquer d’ailleurs.

« Oh, ma pauvre, tu devrais faire plus attention ! Viens, je vais soigner cette vilaine plaie. »

Agrippina baisse la tête et suit sa mère, soumise. Elle se promet qu’un jour, elle étripera cette Limonde qui lui sert de mère et pas juste dans son imagination, cette fois.