Une clameur s'élève dans la rue.
Ce n'est pas la première aujourd'hui, ni la dernière.

Chaque fois que Volodya entend crier les révolutionnaires, il craint pour sa peau, comme une proie entendant grogner le Lougaroc. Ça ne lui ressemble pas de trembler, de regarder par dessus son épaule au moindre bruit. Ça ne fait que prouver une chose : la révolution a à peine commencé, et elle le tue déjà à petit feu.

Ses mains tremblent alors qu'il essaie de faire rentrer autant de choses que possible dans sa valise. Il ne part pas en voyage. Il fuit. Il doit voyager léger. Alors, quand il n'arrive pas à fermer sa valise, il panique comme un enfant. Négocie avec les lois de la physique pour que le loquet se bloque enfin, mais rien n'y fait. Il est pourtant sûr et certain d'avoir arrangé ses vêtements du mieux qu'il le pouvait... et puis merde.
Il ouvre sa valise dans un geste inutilement violent et jette la moitié des costards sur le lit. Il doit se faire à l'idée qu'il n'a pas besoin d'autant. Mais gaspiller son argent durement gagner, c'est comme perdre une partie de lui, aussi ridicule cela puisse sonner. Seulement, c'était soit les costumes, soit les Pokéball. Et il y a certains compagnons dont il n'est pas capable de se séparer.

Il a décidé de ne rien laisser derrière lui à Strana. Son père est déjà en sureté à Volucité. Astid, Vermine, Saphir... toutes ces petites bêtes partent avec lui. Il y a juste...

Tu feras gaffe à Unys, hein ? Parait que c'est aussi mal famé que Strana...

Volodya ne répond que d'un sombre "hmm". Cassandre s'inquiète toujours pour lui, même s'il sait que c'est fini pour eux. Il trouverait ça mignon, charmant, même, que le jeune homme se fasse du souci pour lui... si seulement les circonstances avaient été différentes.

La décision a été dure. Pas dans le sens où Volodya a hésité à fuir, non. Ça a été acté au moment-même où il a appris que les révolutionnaires s'étaient attaqué au Palais Pourpre. Mais ce n'est pas parce qu'il n'y a pas pensé à deux fois qu'il ne regrette pas de devoir abandonner son amant dans ce pays maudit.

"Abandonner" ? C'est un mot assez lourd. Cassandre souhaite rester à Strana. C'est sa décision, et tout comme il respecte celle de Volodya, ce dernier n'a rien à lui reprocher. Cette révolution, il en rêvait depuis tout gamin, l'albinos. Il doit être ravi. Enfin... on voit bien à son visage crispé qui retient un torrent de larmes que devoir perdre sa famille et certains amis ne l'enchante pas. Les Arseniev, eux, ont pris refuge à Kalos, leur terre natale. Volodya aurait aimé que Cassandre les suive, mais cette tête de mule n'ira nulle-part. Il vit et mourra pour sa révolution à la con.

-clic-

Enfin, la valise se ferme. Non sans certains sacrifices matériels. Bah, Cassandre pourra les donner aux nécessiteux, c'est ce qu'il a toujours souhaité. Il en va de même pour tous les cadeaux qu'il lui a fait depuis le début de leur relation. Il préfèrera sûrement les jeter que de se rappeler de quelqu'un qu'il ne reverra jamais.

Car aucun des deux jeunes hommes ne se fait d'illusions. Ils partagent leurs derniers instants ensemble.
Si Strana reste communiste, Volodya ne sera plus jamais le bienvenu. S'il y a un nouveau coup d'état, Cassandre sera un des premiers à passer sur l'échafaud. C'est quelque chose que Volodya ne pourrait pas supporter. Quoiqu'il arrive, il en a fini avec Strana. Plus rien ne l'attend dans la Mère Patrie. Plus rien de bon, cependant.

Bon...

Le ton de Volodya est sombre et sa voix se meurt, parce qu'il n'a pas grand chose à dire. Il n'y a rien à dire, après tout. Rien qui n'a pas déjà été discuté en fond et en large. Sans dispute, étrangement.
Est-ce malsain, que Volodya ait préféré qu'ils se foutent sur la gueule plutôt que d'accepter docilement la situation ? Il aurait voulu que Cassandre le retienne, alors qu'il sait très bien qu'il n'aurait pas cédé, et que ça n'aurait causé que plus de peine à leurs deux cœurs meurtris. Peut-être parce que cette séparation semble trop formelle, irréelle. Et Volodya sait très bien que quand la réalité lui tombera dessus, il souffrira comme il n'a jamais souffert.

Mon avion, décolle dans deux heures, dit-il d'un ton monotone.

Un regard vers Cassandre. Il ne dit rien. Il se contente de respirer lourdement, de fixer le sol pour éviter de croiser les yeux de Volodya. Et quelque part, ça l'arrange.

Je crois que... je crois que c'est le moment de se séparer...

Les deux jeunes hommes se font face, et pourtant aucun n'ose regarder l'autre. Comme si un simple coup d’œil risquait de les changer en nuage de poussière. Une part de Volodya a envie de partir sans dire un seul mot de plus, de faire comme si Cassandre n'existait pas, n'était pas juste là, devant lui, de fuir comme un enfant évitant une confrontation. Mais il ne peut pas. Parce que peu importe à quel point il est un sale con, peu importe à quel point il en est conscient... il aime Cassandre, merde. Et il le respecte assez pour ne pas le traiter comme un objet.

Il pose une main sur sa joue. Elle est humide. Il ne semble pas pleurer mais les larmes ont coulé il y a peu de temps.
Cassandre trouve la force de lever les yeux pour rencontrer ceux de Volodya. Ses iris violets sont remplis de détresse et il ne doute pas que les siens le sont aussi. Il ferme les yeux, partiellement pour oublier ce triste spectacle, et se penche doucement vers Cassandre. Aucune résistance de sa part. Leur dernier baiser est blindé d'émotions. La même joie que toujours, celle d'embrasser l'être aimé, est cachée d'un masque de mélancolie et de regrets.
Comme Volodya aimerait ne pas s'arrêter. Leurs baisers n'ont jamais été aussi tendres, comme si la vie lui envoyait un signe, qu'il devrait rester ici, dans les bras de son petit ami plutôt que de partir pour Unys. Mais c'est futile. Il n'y a pas de retour en arrière possible, pas un qui ne le mettrait pas en danger, lui ou un proche.

C'est avec un poids sur le cœur qu'il rompt le contact, observant une dernière fois les yeux améthyste de Cassandre s'ouvrir doucement, comme après un rêve. Il en profite une dernière fois, essaie de les graver dans sa mémoire, alors qu'il sait pertinemment qu'il n'oubliera jamais le premier homme qu'il a vraiment - vraiment - aimé. Lorsqu'il ressent une nouvelle envie de l'embrasser et de lui murmurer des mots doux, il sait qu'il s'est montré trop vulnérable.
Il arrache son regard de celui de Cassandre, préférant fixer le mur derrière lui.

Adieu Cassandre.

Adieu... les mots sont lourds sur sa langue, mais il n'y en a pas vraiment d'autres, n'est-ce pas ? Lui souhaiter un au revoir serait un mensonge, une promesse impossible à tenir.

Je t'aime.

Les mots d'amour de Volodya se comptent sur les doigts d'une main. Pas du genre émotif... alors cette dernière déclaration lui a arraché un bout du coeur. La douleur est insoutenable, mais il ne doit pas pleurer. Il garde ses larmes pour Unys. Il garde ses larmes là où Cassandre ne pourra pas les voir. Sans un seul regard en arrière, il pousse la porte de l'appartement et disparait dans les rues sens dessus dessous de Stolista.

Il ne laisse rien à Strana, si ce n'est son cœur.