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Une belle journée de merde que le quatorze février.

Certains sont insensibles au charme de la Saint Valentin. Ils lèvent les yeux au ciel, maudissant cette fête commerciale. D'autres sont ravis d'avoir une excuse d'aller dîner dans un restaurant de luxe avec leur moitié, et il y a aussi ceux qui profitent de cette journée pour prendre soin d'eux-même.

Mishka n'est aucune de ces personnes. Mishka est misérable et ça se lit de ses yeux de Magicarpe mort jusqu'à dans sa gestuelle aussi molle qu'un Métamorph.
Il n'est pas heureux et il n'a pas envie de faire semblant en ce jour. Les deux challengers qui sont venus le défier ont gagné leur badge haut la main, il n'a même pas fait attention au combat. Ça en dit long, pour le jeune homme qui prend d'habitude très à cœur le fait de bien faire son boulot. La jeune dresseuse qui vient de partir lui a même dit de garder son badge, qu'elle reviendrait le défier un jour où il sera prêt à vraiment se battre. Il aurait probablement souri de voir une demoiselle si fair-play, s'il n'avait pas eu le moral dans les chaussettes.

Et pourtant, il y en a des célibataires à Strana. Tous ne tirent pas une tronche d'enterré. Ce qui tue le plus Mishka, c'est surtout de savoir que son amour n'est pas réciproque. Que le petit Verpom qui joue sur ses genoux ne vient pas de Grigori comme il s'était laissé penser pour garder un peu l'espoir. Il en est certain maintenant. Gala n'est pas un cadeau de son amour secret. C'était probablement une blague de mauvais goût. Personne ne l'aime et personne ne l'aimera jamais, il en est certain.

Et putain, qu'est-ce que ça lui fait mal de se dire qu'à plusieurs centaines de kilomètres, Grigori et Alexandr passent probablement la plus belle soirée de leur vie, musique romantique et chandelles sur la table. Il a envie de s'énerver, mais il n'en a pas l'énergie.

Dix-huit heures sonnent. Heureusement, la cloche digitale du clocher ne casse pas autant les oreilles qu'une vraie, mais elle suffit à faire prendre conscience à Mishka du temps qu'il a passé à se morfondre. Cela fait des heures que personne ne vient, et vu la date, les challengers potentiels auront probablement préféré passer la soirée avec leur date.
Un regard par la fenêtre suffit à confirmer les doutes du blond. Des couples. Partout. Plus que jamais... des hommes et des femmes marchant bras dessus bras dessous avec des visages si lumineux qu'il pourrait presque voir leurs sourires d'en haut.

Une part cruelle de lui veut pourrir leur journée. S'il sautait, là, tout de suite, maintenant, comment réagiraient tous ces tourtereaux ? Un sourire triste se dessine sur ses lèvres en les imaginant hurler. En s'imaginait s'écraser au sol dans un éclat pourpre. Ça leur ferait une histoire à raconter, bien plus intéressante que leurs amourettes débiles et sans saveur.
Ce n'est pas la première fois que Mishka rêve de cette image. Dès qu'il reste seul avec ses pensées, elles finissent, immanquablement, par lui rappeler que la distance qui le sépare du pavé lui promet une mort certaine et immédiate. Qu'un simple petit saut règlerait tous ses problèmes. Qu'il ne partira jamais de ce pays de merde, coincé avec un homme qui ne l'aime pas, une famille qui le méprise et un ami qui doit se douter qu'il le maudit en secret. Du moins, il en est persuadé.

Il arrive qu'il ait des phases où il ne pense qu'à ça, toute la journée. C'est le cas depuis quelques jours, et ça s'est aggravé lorsqu'au réveil, la radio lui a rappelé la date. Et l'animatrice, avec sa voix guillerette, qui lui a souhaité, à lui de tous les humains sur Terre, une bonne Saint Valentin... s'il n'avait pas pris l'habitude de devoir ignorer ses pensées paranoïaques, il se serait persuadé que cette conne savait qu'il l'écouterait à ce moment précis et l'avait volontairement provoqué.

Cerveau de merde. Qu'il serait agréable de le faire taire parfois.

La demie sonne. Une demi-heure que Mishka contemple les rues de Sankt-Duraluburg. Mais ce ne sont pas les superbes bâtiments qu'il admire, ni le beau ciel orange du crépuscule. Ni même ces couples qu'il jalouse tant. Il fixe, comme un Scrutella, le sol pavé qui semble l'appeler. Il essaie de détourner les yeux, mais ils reviennent malgré lui en place. Il essaie de penser à autre chose, mais rien ne vient. Tout ce à quoi il peut penser, c'est...

Il se sent seul.
Un mort ne pense pas.
Il a mal au cœur.
Un mort ne souffre pas.
Il est fatigué d'exister.
Un mort ne dort pas.

Et ces amoureux dégoûtants qui se promènent sans se soucier de ce qu'il ressent... il veut leur faire du mal. D'une façon ou d'une autre.

Ce n'est qu'en entendant des voix inquiètes et en voyant des visages lointains braqués sur lui qu'il réalise qu'il est déjà bien penché par dessus la rambarde. C'est peut-être stupide, c'est certainement cruel, mais il les entend comme des encouragements. Il prend son courage à deux mains... inspire, ferme les yeux, expire... et plonge.

Il entend les passants hurler. Il entend l'air se fendre sur son passage. Il se demande s'il s'entendra s'écraser, se briser tous les os et tous les organes à l'unisson. Il se demande s'il aura le temps de comprendre ce qu'il lui arrive quand il touchera le sol.

...

Les cris se sont calmé. Il n'y a plus que le silence. Mishka ne se sent plus tomber, mais il n'a rien senti non plus. Est-ce que c'est déjà fini ?
Tout à coup, des applaudissements.

Confus, il ouvre les yeux. Il peut voir le sol à quelques mètres sous ses pieds, aucune trace de sang. Devant lui, un public ravi, soulagé et impressionné. Au dessus de lui, le tenant par la taille, ce brave Milyy qui a de l'inquiétude plein les yeux. Mishka le croyait endormi près de son fauteuil... est-ce qu'il a eu une sorte de sixième sens ?
Les passants le félicitent pour sa petite cascade, plaisantent en disant qu'ils ont eu une sacrée frayeur et Mishka rigole sans la moindre joie. Il peut remercier Milyy d'avoir évité le scandale, il suppose...

***

Il a préféré rentrer. Rien de bon n'arriverait au sommet du clocher ce soir.
Emmitouflé dans une couverture bien chaude sur le canapé, devant un film de Wattouat Disney et avec un petit chocolat dans les mains, il essaie de se réconforter tout seul comme l'aurait fait sa maman. Son visage lui revient... elle lui manque. Il lui aurait probablement manqué aussi si Milyy n'avait pas...
Il met la VHS en pause et attrape son téléphone. Peut-être qu'il aurait dû commencer par là...