Cassandre n’aimait pas vraiment ce genre de mission, un vulgaire règlement de compte dans la pègre ça n’a rien de très noble. Mais bon, la team Stal doit bien se faire respecter, non ? Cela n’a pas grand-chose de communiste mais c’est peut-être nécessaire pour l’ordre publique. Mine de rien, ils font un cadeau aux Rangers en se débarrassant de ce genre de petit gang de minables. Avec ses entrainements quotidien en compagnie d’Irina et d’Artyom, il sait maintenant comment filer un coup de main aux forces armées, plus ou moins.

Mais sa réelle utilité sur les lieux se passe quand tout est terminé, tandis qu’il fait le tour des blessés. Il n’y en a pas beaucoup et ce n’est pas grand-chose, une arcade sourcilière ouverte à coup de crosse et un éraflement de balle sur la cuisse. Et bien on peut dire que la chance était de leur côté ! Il se permets donc de prendre son temps pour bien faire son travail. Franchement, rafistoler reste mieux que de taillader à coup de lame. Il a toujours du mal à s’y faire, au fait de tuer de façon « non-médicale », mais il se dit que c’est pour le mieux.  Ça limite ses crises de colère et ça lui donne l’impression – certes cruelle – d’être utile.

Il reste pensif sur toute cette question d’éthique quand un appel le fait sursauter et louper un point de suture. Forcement, le sbire qu’il est en train de recoudre pousse un petit cri de douleur et de surprise et lui lance un regard assassin. Cassandre soupire et se grouille de terminer son job, les sutures sont pas très belles mais le job est fait. Ça lui mets donc au moins cinq minutes pour rejoindre Artyom qui vient de l’appeler en urgence, c’est un peu long mais il pouvait  pas demander au type de se recoudre tout seul. Puis de toute façon il n’y a pas que lui qui prends son temps, Ludmila n’est pas encore là quand il s’aventure dans le camion de cargaison.

Ça pue le sang et les excréments, question respect des pokémons, il a vu mieux dans sa carrière de sbire Stal. Ils sont vraiment tombé sur des salopards. Mais bon, il fait confiance à Artyom, si il y a un danger, il est plus ou moins maitrisé donc il se permets de s’adresser au grand dadais – à voix basse, tout de même.



Un mouvement brusque dans l’obscurité le fait sursauter et reculer d’un pas, une main vient instinctivement saisir le manche de son couteau à sa ceinture. Mais ses yeux s’habituent tant bien que mal à l’obscurité et il perçoit une silhouette humaine. Petite, plus petite qu’Irina même. Un enfant ? Et ce bruit métallique… ? Un coup d’œil permet à Cassandre d’apercevoir furtivement les contours de chaines liant les poings et les pieds du gamin. Et si ses yeux d’albinos ne lui jouent pas des tours, le pauvre mioche est couvert de diverses blessures et contusions…



Demande un peu inutile puisqu’il se faufile pour arriver au niveau de l’enfant qui ne cesse de reculer en tremblant. Cassandre cherche ses mots et finit par s’accroupir en lui tendant doucement la main.



La proximité permets à Cassandre de mieux voir le gamin, cheveux courts et bruns, yeux sombres, une simple robe noirâtre comme seul vêtement et des marques de coups et de diverses maltraitances un peu partout sur le corps. C’est trop familier pour ne pas faire grimacer l’albinos. Le gamin – ou la gamine ? – parait toujours aussi terrorisé. Qu’est-ce qui pourrait lui faire comprendre que Cassandre n’est pas un ennemi. Réflexion courte, une idée idiote lui vient en tête. Il tire sur ses manches et laisse sa peau striée de cicatrices à l’air libre, frissonnant un peu en ressentant le froid mais aussi le regard d’Artyom dans son dos.



Souffle-t-il simplement tandis que l’enfant se détends un peu, un tout petit peu. La main qu’il tends est bientôt saisie et la gamine vient se réfugier dans ses bras, grelottante, sans doute plus à la recherche de chaleur que d'affection. Après un moment de silence à caresser les cheveux de la petite pour la rassurer du mieux qu’il peut, Cassandre se tourne vers Artyom et s’apprête à lui poser une question quand soudain, l’arrivée de Ludmila vient tout chambouler, faisant se crisper l’enfant dans les bras de l’albinos qui se voit forcer de la rassurer à voix basse avant de s’adresser à sa camarade.


         
         Halloween

Entre Ludmila qui fout un grand coup de point dans la parois de la remorque et Artyom qui se barre pendant qu’Anya brise les chaines de la gamine, Cassandre est un peu confus mais il garde la petite serrée contre lui, lui enfilant la grosse veste militaire bien chaude tout à la berçant comme il berçait Louison quand ce dernier n’était qu’un bambin. Dire que la situation n’est pas douloureuse pour lui serait un mensonge, il sent une colère sourde en lui.

Tous les hommes qui se sont fait tué dans ce convoi, il les retuerait bien une seconde fois. Comme il retuerait son père encore et encore sans que jamais sa furie ne puisse se tarir.

Il souffle un bon coup pour se calmer et soulève doucement la petite maintenant libre de ses liens, un coup d’œil vers ses deux amis et… Il sursaute presque en voyant le grand gaillard d’Artyom avec les yeux rougis.



Ça ne servirait pas à grand-chose de lui dire à part à le foutre encore plus mal, il lance un regard à Lumi, comme pour lui faire signe de se la fermer sur le sujet, elle aussi. La petite est vraiment un poids plume, ça l’inquiète, est-ce qu’elle tiendra l’hiver ? Elle parait aussi frêle qu’un pokémon immaculé, il faut agir vite. Cassandre reste pensif un instant et c’est un regard décidé qu’il pose sur ses deux camarades révolutionnaires.



Sur cette phrase, il sort de la remorque, ne prêtant pas attention aux autres cargaisons. Il ne sait pas trop ce qu’il est en train de faire à part aller contre les ordres de Tolstoï qui avait clairement dit qu’ils ne devaient pas bouger le cul avant l’arrivée d’une seconde vague de sbires pour embarquer les cargaisons. Mais putain… Hors de question de laisser une pauvre gamine crever ici pour une question d’ordre à la con.

Mais aussitôt qu’il s’éloigne un peu trop d’Anya, il sent la petite se crisper et se débattre. Il grimace et se tourne vers Lumi d’un air embarrassé. Puis vers Arty parce que maintenant qu’il y pense, c’est pas cette vieille Baba Yaga qui fera l’affaire pour traverser la Toundra à la vitesse suffisante. Il reste silencieux un instant avant de déclarer d’une voix qui ne supporterait aucune contradiction.



Ça lui fait bizarre de donner des ordres comme ça, avec une autorité qu’il ne se connait pas. Il a presque l’impression d’être Livre, mais que ce soit Ludmila ou Artyom qui ai envie de contester son autorité, il est prêt à leur foutre un pain dans la gueule, quitte à se briser les phalanges – car pour être honnête, c’est juste un fragile qui ne doit ses capacités de combat qu’à une lame bien affutée.

Un nouveau coup d’œil à la gamine et il remarque un détail. Et pas un petit, un putain de détail qui le laisse sans voix un instant, les yeux écarquillés. Sur l’épaule de la gamine, une marque au fer rouge, un Artikodin à deux têtes pour être précis, un frisson d’effroi parcoure le jeune homme et il lui faut du temps pour se remettre, prenant une grande inspiration avant de reprendre d’une voix moins ferme et plus tremblante qu’il ne l’aurait voulu.



Il ne savait pas sur quel genre de gusses ils étaient tombés mais ces connards bossaient de toute évidence avec le gouvernement. Cassandre se demanda un instant si sa propre mère était au courant pour ce genre de chose et l’idée qu’elle le soit lui provoqua un frisson de dégout. Maitriser sa respiration était à présent le seul moyen de ne pas se perdre dans des pensées des plus désagréables et après qu’Anya l’ai rejoint, il descendit du camion en un bond qui fit trembler la gamine.

Un coup d’œil autoritaire vers Artyom maintenant, il attendait que ce dernier libère son Blizzeval du pauvre sans faire d’histoire. La situation était bien trop urgente pour se faire chier à suivre les ordres du boss. Si Arty refusait de coopérer, il se ferait clairement engueuler comme une vieille Limonde pas fraiche.
         
         Halloween

Cassandre se sentirait sans doute désolé pour Artyom si ce n’était pas le bordel total dans sa tête, même les mots de Ludmila ne réussissent pas à l’apaiser. Trouver l’équilibre entre « utiliser sa respiration pour se calmer » et « ne pas partir en hyperventilation » est assez compliqué, heureusement que la poigne de la petite se fait sentir sur le pan de son manteau pour le ramener à la réalité. Il secoue la tête, avec tout ce bordel, il a loupé le moment où Artyom a exécuté ses ordres. Monter sur le dos de Metel n’est pas chose facile, surtout avec une gamine dans les bras. Mais il finit tout de même par s’en sortir avec l’aide de ses deux camarades.

Une fois Lumi et Anya installées derrière lui, c’est le moment de partir galoper dans la toundra. Cassandre se surprends à prier Sankta Morena pour que la petite survive, comme si « l’opium du peuple » avait encore de l’importance à ses yeux. Il en rirait bien si la situation avait quelque chose de drôle. Peu importe le nombre de minutes ou d’heures que dure le trajet, tout cela parait être une éternité, dans le silence le plus complet, qui plus est. Chacun reste plongé dans son malaise, dans son coin. Cassandre ne peut s’empêcher de s’imaginer avec dégout ce que la gamine a bien pu subir et essaye de repousser tant bien que mal la pensée horrifiante que sa mère ait un lien avec tout ça.

Peut-être même qu’Ivy…

Non, il ne faut pas y penser.

Le retour à la base est tout autant silencieux, tous ont la tête basse, l’air peu glorieux et le malaise aux tripes. Cassandre demande rapidement à ses camarades d’aller chercher le chef tandis qu’il se dirige vers l’infirmerie, les soins ne peuvent pas attendre. Anya suit tant bien que mal le jeune homme en boitillant, usant de son aura apaisante pour garder la gamine tranquille. Inutile de dire que Livre tire une sacrée gueule en voyant son apprenti infirmier arriver avec une petiote pas plus haute que trois Mepo dans les bras.



L’albinos ne réponds pas et se dirige immédiatement vers l’un des lits de l’infirmerie, déposant doucement sa nouvelle protégée dessus et se retrouvant à donner des ordres, même à Livre. Le monde tourne vraiment à l’envers…



Livre a une gueule de mec prêt à renvoyer chier son apprenti mais il finit par aller chercher son matériel sans rien dire. Peut-être parce qu’il n’a pas l’habitude de voir son apprenti dans cet état et que son autorité le surprends « légèrement ». Couchée sur le lit, la petite regarde autour d’elle d’un air perdu tout en resserrant le manteau autour de ses épaules. Bien vite, des bruits de pas se font entendre et Cassandre tourne la tête.

Ah, le boss est là. Suivi de ses deux camarades qui semblent peiner à suivre son allure rapide. L’infirmier ne peut s’empêcher de grimacer en voyant le visage grave de son supérieur, il a l’habitude de le voir sérieux mais là c’est d’un autre level. Il n’a pas le temps de s’exprimer que la voix froide de Tolstoï se fait entendre, sans appel.



Cassandre déglutit avec difficulté et tente de rassurer la gamine comme il peut, réussissant avec difficulté à faire glisser un pan du manteau pour que le patron puisse voir l’Artikodin Bicéphale impérial. Il attends la réaction de Tolstoï avec un peu d’appréhension mais rien ne vient, un silence de mort règne dans cette putain d’infirmerie jusqu’à ce que Livre vienne avec un chariot remplit de divers ustensiles de médecine. Leur simple vu semble causer une peur-panique intense chez la gamine qui commence à se débattre violemment, les yeux écarquillés, fixés sur ces instruments médicaux. Cassandre retient tant bien que mal une nausée soudaine tout en immobilisant la petite du mieux qu’il peut.



Articule-t-il avec difficulté. Il lève les yeux comme pour demander de l’aide à ses camarades, mais Artyom semble « indisponible » et Tolstoï a encore les yeux fixés sur cette foutue marque, affichant une émotion indescriptible. Seul Ludmila peut répondre à l’appel et il lui fait signe de venir.



Vu la force de la jeune femme, inutile de dire que la gamine ne fait pas le poids et que le sédatif est rapidement injecté par Livre. La gamine semble se débattre encore un instant, comme si elle était effrayée que son corps se raidisse puis abandonne, commençant à sangloter et fermant les yeux, résignée à… Peu importe ce qu’elle a l’habitude de subir. Cassandre essaye de la rassurer avec quelques mots à voix basse mais elle ne semble même pas les comprendre, comme si elle ne parlait pas la langue.

Livre, de son coté, ne perds pas le temps et commence immédiatement les premiers soins tandis que Cassandre se permets quelques pas en arrière en une respiration haletante, presque paniqué. Cela lui prends quelques minutes pour se reprendre et il lève lentement la tête vers Monsieur Tolstoï.



Après un grand moment de silence où Tolstoï parait ailleurs, il finit par secouer la tête et siffler d’une voix pleine d’amertume.



C'est sur ces mots qu'il s'éclipse en silence. Cassandre lance un regard désœuvré à ses camarades, pas que s'occuper de la gamine le gène mais il a l'impression que cela ne fait que confirmer ses doutes. Cette gamine est sous sa responsabilité car sa famille n'y est pas pour rien dans cette histoire. Sans rien dire, il se tire une chaise et s'effondre presque dessus.


         
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Plus important ? Comme lui ? Belle connerie, tiens. Mais Cassandre est trop terrassé pour exprimer sa rogne qu’on le considère comme un fragile puis de toute façon… Ouais, bon, Arty n’est clairement pas « présent » avec eux, ils peuvent bien le laisser aller chialer dans les bras de Tolstoï. C’est la moindre des choses après lui avoir demandé tant d’efforts. Cassandre ne s’est jamais questionné sur le passé du militaire, mais il doit pas être glorieux. Le sien non-plus ne l’est pas et maintenant que Livre s’occupe de tout, il lui éclate dans la face.

Oui, la gamine s’en sortira mais pas le temps de le dire à Lumi, il se lève en titubant avant de courir aux toilettes pour déverser ses tripes dans la cuvette des WC. Et même quand son estomac ne contient plus qu’une bile acide dégueulasse, son diaphragme se contracte comme pour expulser le dégout qui lui envahit les tripes. Il lui faut plusieurs minutes pour enfin reprendre sa respiration et se relever en tremblant, tirant la chasse d’eau et s’apprêtant à retourner bosser. Mais Ludmila l’a suivi et attends sans doute des explications.

Il esquive son regard et passe à coté d’elle avec un flegme forcé. Ironique quand on voit qu’il tremble encore comme une feuille.



C’est tout ce qu’il parvient à dire avant de retourner à son travail. Des cargaisons de pokémon toutes fraiches viennent d’arriver, c’est ce que lui dit Livre. Il ne peut pas être partout à la fois alors Cassandre va devoir se dépatouiller seul, tant mieux. Il a besoin de travailler, d’arrêter de penser. Ce jour là n’était qu’un accident, ce jour là n’était pas censé arrivé, ce jour là n’a jamais eu lieu. Il se répète ça en boucle dans sa tête mais rien n’y fait, les souvenirs sont trop tenaces. Heureusement qu’il n’a plus rien dans l’estomac.

Pauvre Lumi qui se fait ignorer par tout le monde et qui regarde, dépitée, son collègue et ami se mettre à travailler sans rien lui dire. Ça crève les yeux qu’Artyom et Cassandre souffrent tous les deux à leur manière mais aucun des deux ne peut parler. Motus et bouche cousue sur tant de traumatismes, des tabous qui se sont renforcés au fil du temps et qui ne sont pas prêts de partir.

Cassandre non-plus ne veut pas perdre le contrôle, il ne veut pas devenir fou et tout casser autour de lui, alors fermer sa gueule et se concentrer sur son travail est le mieux qu’il puisse faire pour ses proches. Peut-être qu’une fois le boulot terminé, il ira s’isoler quelque part pour fumer quelques clopes.

Sa voix creuse raisonne pourtant encore une fois, une dernière fois à l’attention de Lumi. Pas pour s’excuser, ce serait trop beau. Une simple directive. Presque un ordre mais qui aurait perdu toute sa force, toute son autorité.



Sur ce, il se retourne et commence à s’occuper de ses premiers patients. Moins il pensera à autre chose qu’à son travail, mieux ce sera. Désolé, Ludmila mais pour le bien de Cassandre, tu dois partir. Il s’excusera peut-être demain… Ou après-demain. Un jour, peut-être. Espérons-le.
         
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